Critique | Livres

La BD de la semaine: Calavera, Burns baby Burns

Calavera © Charles Burns/Éditions Cornélius
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN GRAPHIQUE | Charles Burns boucle sa trilogie: un voyage sensoriel dans les tréfonds de l’âme américaine mais aussi dans les références du maître, au sommet de son art.

La claque, d’abord, est visuelle. Sensorielle. Purement graphique: la ligne claire sombre de Charles Burns n’a jamais été aussi puissante, belle, presque définitive. Un esthétisme rarement atteint, capable comme peu de distiller à la fois l’élégance et le malaise. Et un hyperréalisme que l’auteur de Black Hole met plus que jamais au service de l’invisible et de l’onirisme: nous revoilà dans la vie de Doug, Californien moyen vivant en marge de la communauté punk des années 70, mais aussi dans ses rêves, et probablement dans son subconscient. Depuis Toxic, trois ou quatre strates de récit et de réalité s’entremêlent, se répondent et se parlent. Or, dans l’imaginaire fécond de Charles Burns, lorsqu’un homme se fait face à lui-même, qu’il ausculte honnêtement la réalité de sa vie et de ses choix, son âme prend l’allure d’un Tintin neurasthénique et craintif tenant à la fois de Hergé, Lynch et Burroughs, en pleine descente d’acide et évoluant dans un univers peuplé de freaks, d’êtres difformes et de peurs primales.

La BD de la semaine: Calavera, Burns baby Burns

Depuis Toxic et La Ruche, Doug a vieilli, a pris du poids, a laissé tomber drogue et alcool, mais n’a pas encore tout à fait réglé ses comptes avec lui-même et l’amour de sa vie. Les masques tomberont le jour d’Halloween, permettant à son Jiminy Cricket à houpette d’enfin boucler sa boucle: Calavera s’achève là où Toxic commençait, face à cette fissure dans le mur que le double de Doug avait choisi de traverser, comme Alice et son miroir, et comme le Capitaine Haddock pour dénicher le trésor de Rackham le Rouge. Deux références et deux clés au fondement de l’univers de Burns, et de cet impressionnant Calavera.

Incarner l’invisible

Traumas adolescents, affres de la sexualité, angoisses existentielles, peur de l’enfantement, le tout dans une vision désenchantée et inconfortable de l’American way of life… Charles Burns gratte les mêmes plaies d’oeuvre en oeuvre. Jusqu’ici, ses personnages exprimaient dans leur chair leurs vicissitudes intérieures -le corps adulte de Big Baby, les êtres hybrides de ses Detective Stories, la peste adolescente de Black Hole. Avec cette trilogie, Burns continue de rendre visible l’invisible, mais entremêle cette fois ces deux mondes par sa seule narration et de superbes jeux de passage d’un univers à l’autre. Mieux: lui qui a façonné depuis 30 ans une esthétique du noir et blanc vénéneuse dont l’influence dépasse depuis longtemps le cadre du seul comics, démontre avec cette trilogie en couleurs -une première- que le bleu ou le rouge peuvent s’affirmer aussi sombres que le noir. Même ses aplats et ses cases monochromes semblent formidables, c’est dire la grâce qui imbibe Calavera.

DE CHARLES BURNS, ÉDITIONS CORNÉLIUS, TRADUIT DE L’AMÉRICAIN, 56 PAGES.

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