Critique | Livres

[La BD de la semaine] America, de Nine Antico

Nine Antico © Hélène Giansily
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

SÉRIE | Nine Antico emmène son héroïne célibataire et (vaguement) libérée dans l’Amérique de ses rêves: mi-pop, mi-décadente. Une oeuvre à part.

Première nouveauté pour le retour de Pauline: l’héroïne de la Marseillaise Nine Antico -on n’ose pas écrire son alter ego, même si on le pense très très fort- a pris des couleurs, qu’elle n’avait pas, ni dans Girls don’t cry, ni dans Tonight: sa blondeur renforce son apparente fragilité ou naïveté, de même que le rouge qui cercle désormais ses éternelles lunettes de soleil en forme de coeur en rajoute dans le mystère pop qui l’entoure. Deuxième nouveauté pour ce troisième album de Pauline, et déjà le huitième de Nine Antico: Pauline fait officiellement partie de la catégorie « larguée », une vraie rassrah comme dirait l’autre. Elle attend pourtant une dépression promise et post-rupture qui ne vient pas, et donc s’ennuie: Paris au mois d’août n’est rempli que d’amis de secondes zones. Sur un coup de tête, la voilà donc partie pour cette Amérique tant fantasmée, entourée quand même de quelques bonnes copines. Un road trip qui la mènera, de New York à San Francisco, à panser des plaies qu’elle nie, tout en se confrontant aux clichés qui l’habitent: le fantôme de Salinger, les soirées jet set, la tombe de Dean Martin, les studios Paramount ou la gestuelle de ce baseball si exotique: « Ça m’émeut… Tous ces garçons en tenues de sport, réunis par un bon dimanche d’été. Ils sont 100 % concentrés, précis dans leurs gestes. Rien ne vient parasiter leurs pensées. Pas même une femme. J’essaie aussi de faire le vide. Là, je ne pense ni à Pedro, ni à Jonas, ni à aucun mec. Je suis à 100 % sur son cul. »

L’anti-Martine

[La BD de la semaine] America, de Nine Antico

Si la singularité est à lui seul un talent, Nine Antico est très talentueuse: rien ne ressemble à ses chroniques sentimentales, drôles et vouées aux trentenaires urbaines à la fois libérées et pétasses, dont l’apparente légèreté peine à masquer ce qui les rend vraiment vénères: ce besoin d’amour et de mecs dont elles se passeraient bien, mais qui n’y arrivent point. Dis juste comme ça, les albums d’Antico auraient éventuellement de quoi faire fuir; ils fascinent au contraire par leur justesse et par une esthétique encore une fois tout à fait singulière, mélange de références multiples qu’elle est la seule à réinventer ainsi: un peu de Nouvelle Vague, beaucoup de pop culture américaine et une solide culture rock qui a toujours marqué sa production -Nine Antico a démarré en créant son propre fanzine, Rock this way, avant de devenir l’illustratrice de magazines comme Trax ou Nova. Une branchitude très contemporaine qu’elle met désormais au service de l’étude des moeurs des jeunes femmes de son temps, et une esthétique forte qui se retrouve jusque dans l’objet: l’album, constitué de strips plus que de planches elles-mêmes entourées de beaucoup de blanc, est rythmé par des photos pleine page, prises essentiellement par Nine, telles qu’auraient pu les prendre Pauline, en Amérique.

DE NINE ANTICO, ÉDITIONS GLÉNAT, 64 PAGES. ***(*)

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