Laurent Raphaël

L’édito: Le vrai du faux

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Avec l’avalanche de fake news déversées quotidiennement dans ses tuyaux, le Web ressemble à une autoroute wallonne: nids de poules et détritus à perte de vue. Faire le tri entre le vrai et le faux, entre la vérité et l’intox, c’est devenu une obsession.

Et la raison d’être de sites et d’émissions télé, comme la séquence Désintox sur Arte, qui traquent les nouvelles bidons et leurs colporteurs plus ou moins complaisants. On en oublierait presque que tout n’est pas noir ou blanc. Il existe des zones grises où la vérité et le mensonge font bon ménage, et partagent le même lit. On s’en est souvenu en apprenant la publication aux Éditions des Saint-Pères du Carnet de Mozart. Le génie autrichien avait pris très tôt le pli de consigner scrupuleusement ses morceaux achevés. Y figurent ses tubes, Les Noces de Figaro ou l’ouverture de La Flûte enchantée, mais aussi des partitions mineures.

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Au-delà de la valeur historique de ce journal de bord qui dormait dans un fonds précieux de la British Library, ce qui est remarquable dans ce projet éditorial, c’est qu’il reproduit à l’identique le carnet original. Typo, signets, annotations -de sa main ou de celle de sa femme ou de son éditeur-, tout est là, dans son jus. Une copie plus que conforme. Pour un peu on croirait tenir le vrai cahier dans les mains. C’est le but bien sûr, créer l’illusion, même si personne n’est dupe. Le faux ne se fait pas passer pour ce qu’il n’est pas. Mais en enfilant le costume original, il n’en trouble pas moins le ressenti, comme une drogue douce qui modifierait légèrement notre perception, prenant à revers la conscience, pourtant prévenue.

Cet effet de sidération, de dédoublement de la réalité, on l’éprouve à chaque fois qu’on a sous les yeux un fac-similé de bonne facture. Lire les écrits intimes de Marilyn Monroe en police Arial est une chose, les découvrir griffonnés dans l’urgence sur les pages de ses petits carnets en cuir, en est une autre. Cette expérience sensorielle, qu’offrent à foison ses Fragments (éditions du Seuil), compilation de poèmes, de pensées ou de listes sur tous les supports possibles, du papier à en-tête du Waldorf-Astoria aux feuilles lignées arrachées à la diable, révèle la poétesse désenchantée derrière l’icône glamour, la femme en quête d’absolu derrière l’être solaire. Jetée fiévreusement sur le papier, la phrase « Je pense que j’ai toujours été profondément effrayée à l’idée d’être la femme de quelqu’un car j’ai appris de la vie qu’on ne peut aimer l’autre, jamais, vraiment » brille d’un éclat de tristesse particulier. Comme si on l’avait découverte nous-même abandonnée sur la table de chevet d’un hôtel.

À ce petit jeu de non-dupes, les éditeurs rivalisent d’ingéniosité. Les Pièces à conviction de Hitchcock aux Éditions de La Martinière (2010) entremêlent ainsi les textes de Laurent Bouzereau éclairant la vie du maître avec des objets-souvenirs soigneusement rangés dans des chemises à rabat. On y trouve de tout, des notes manuscrites, des mémos, des lettres, des photos et des documents intimes. Les fétichistes auront des palpitations en palpant le spécimen des actes de mariage d’Alfred et d’Alma Reville ou le story-board commenté et illustré de La Mort aux trousses. Difficile de rester de marbre quand on touche le mythe du doigt et du regard. Comme dans un jeu de rôles, on sait que tout est du chiqué, mais on se laisse prendre. L’envie d’y croire sans doute, et de s’approprier quelques miettes d’un monde fantasmé. Après tout, le succès du Monopoly tient en grande partie à ses billets de pacotille. Le fac-similé est un accessoire de théâtre. Il nous transporte ailleurs.

Le faux n’est donc pas toujours l’ennemi du vrai. Il peut aussi être son complice, son allié. Les trésors de Michael Jackson sorti chez Michel Lafon il y a quelques années pousse le vice de la mascarade à son comble. Reproduction de l’annuaire de l’école privée réservée aux enfants de célébrités, de tickets de concerts, du certificat de mariage et même d’une page du calepin de Neverland (frappée de l’emblème représentant un Michael stylisé assis sur la lune), rien n’échappe à la bondieuserie ni au kitsch. Mais là encore, ça marche, on tombe dans le panneau nostalgique.

À l’ère de la dématérialisation accélérée, ces reliques agissent aussi comme des madeleines rappelant une époque matérielle qui s’efface, la nôtre ne laissant dans son sillage numérique que peu de traces, sinon sous forme de particules fines et d’objets flottant à la surface des océans…

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