Laurent Raphaël

L’édito: L’été en pente douce

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On a beau avoir l’habitude, tenter de se raisonner, se dire que rien ne va changer fondamentalement -même pas le trafic puisque les chantiers garantissent désormais l’engorgement des routes douze mois sur douze-, l’arrivée de l’été agit toujours comme un cataplasme.

La belle saison libère les tensions, chatouille les orteils, recule l’horizon. Tout y est plus grand, plus beau, plus attirant. Comme si on laissait sa peau d’hiver sur le bord de la route pour enfiler un costume de chair bardé de capteurs ultra sensibles.

On a beau avoir l’habitude, l’arrivu0026#xE9;e de l’u0026#xE9;tu0026#xE9; agit toujours comme un cataplasme.

Déjà on n’a plus ce rideau gris en permanence devant les yeux, mais surtout on va devoir chambouler, même modestement, le train-train aussi abrutissant que rassurant, bousculer l’axe de rotation autour duquel s’organisent dans les grandes lignes nos existences de septembre à juin. On ne conduit plus les enfants à l’école mais au stage, au camp scout, chez la grand-mère ou dans une famille du nord pour une semaine d’immersion décisive, qui réconciliera ou fâchera définitivement le fiston avec le néerlandais. Cela n’a l’air de rien mais ces petites entorses suffisent à décaler le regard, ranimer la curiosité, provoquer ce léger tressaillement qui permet de voir les choses sous un oeil moins engourdi par l’habitude. Une manière de « pimper » la banalité, de lui rendre ses vitamines. D’autres horaires, d’autres routes, celles des festivals, des vacances, des escapades bucoliques, et ce sont les pensées qui dévient, dérivent, rebondissent d’une flaque d’ombre à une silhouette juvénile s’arrachant à la pesanteur avec souplesse, porte d’entrée du terrier imaginaire qui nous fait basculer vers notre propre jeunesse. Non pas pour y poursuivre un lapin pressé mais des souvenirs parcheminés dont on doit chaque année ranimer les couleurs.

De toutes les saisons, l’été est la plus propice à la nostalgie. Moins sur le qui-vive, moins shooté à l’adrénaline du présent, le cerveau s’offre plus facilement une baignade dans les eaux tantôt chaudes tantôt glaciales de la mémoire. Zidrou et son complice Jordi Lafebre font allègrement vibrer cette corde sensible dans la série Les Beaux étés (Dargaud), véritable madeleine pour ceux qui ont traversé les années 60 et/ou 70 à l’arrière des 4L ou des Coccinelles. Les nationales, les pique-niques sur le bord de la route, les campings, les papiers peints hideux dans les chambres d’hôtel, les non-dits familiaux, les vaillants mais pas toujours fiables carrosses de l’époque, les plaisirs simples de la vie au grand air… Cette bande dessinée célèbre le passé sans mélo, avec juste ce qu’il faut de tendresse et de piquant. Une invitation irrésistible à remonter le temps pour se reconnecter -sans tablette…- avec cette petite fille ou ce petit garçon perdu dans les draps défaits de son autobiographie. Preuve que la nostalgie n’est pas forcément un vilain défaut. On peut la voir comme une pièce humide fermée à double tour où s’entassent nos faits et gestes. On peut aussi l’envisager comme un dressing zen où l’on pénètre sur la pointe des pieds pour y repasser des images chiffonnées ou ranger au fond d’une boîte des réminiscences douloureuses. Et ainsi, par effet domino, replâtrer les failles qui lézardent le mur porteur de notre personnalité d’aujourd’hui.

Cette petite incursion sur des chemins escarpés, inattendus qui lubrifient les charnières du tempérament, on vous la propose dès la semaine prochaine avec nos séries estivales. On ne lâche pas la bride de l’actu, on profite simplement de cette parenthèse pour voyager hors des frontières. Des artistes qui parlent de leur passion cachée, des portraits en un round de boxeurs célèbres, des illustrateurs qui croquent l’époque, les pépites rock de 67… Voilà ce qui vous attend pour les sept prochaines semaines. Et pour les impatients qui planifient tout à l’avance, le retour à la normale, ce sera pour le 25 août. Les oracles sont formels: il y aura du lourd pour la rentrée, à tous les rayons. Raison de plus pour s’alléger des quelques kilos superflus qu’on traîne sur la conscience. Et du même coup être un peu moins « esclave des rêves qu’on a faits » comme le relevait avec sa pertinence légendaire Sacha Guitry…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content