Keiichiro Hirano: des romans à Twitter, de Balzac à Debray

Keiichiro Hirano © AFP/Yoshikazu Tsuno
FocusVif.be Rédaction en ligne

Prolifique auteur de romans et essais, hyperactif sur Internet, Keiichiro Hirano détonne dans le monde littéraire japonais, écrivain admiratif de Balzac ou Tolstoï, mais aussi penseur de l’époque influencé par Régis Debray.

Primé à 23 ans pour L’Éclipse, son premier ouvrage situé à la fin du 15e siècle dans le sud de la France, puis remarqué pour La Dernière métamorphose, où il réécrit à sa façon La Métamorphose de Kafka dans le Japon moderne à travers un « hikikomori » (reclus), Keiichiro Hirano vient de sortir chez nous Compléter les blancs, une fiction ancrée dans la société nippone, qui met en scène un « ressuscité ».

« Ce roman a d’abord été publié en feuilleton dans le magazine de manga Morning, au rythme hebdomadaire. Cela en a dicté le tempo. Ceux dont j’ai le plus reçu l’influence, ce sont des auteurs du 19e siècle comme Balzac et Flaubert ou bien Tolstoï et Dostoïevski, des romanciers qui prennent le temps d’installer leur récit, mais les lecteurs d’aujourd’hui n’entrent pas dans une histoire qui ne démarre pas tout de suite », raconte l’écrivain de 42 ans lors d’un entretien avec l’AFP. Pour autant, « on ne m’a pas demandé d’écrire l’équivalent d’un scénario de manga, juste d’en adopter le rythme », précise-t-il.

Le personnage central, Tetsuo Tsuchiya, décédé trois ans plus tôt, revient à la vie avec un questionnement inédit sur l’existence, les relations humaines et la mort. « La pensée la plus forte qu’éprouvent ceux qui restent, après le décès d’un proche, c’est « je veux le revoir », c’est pour cela que j’ai centré mon roman sur la résurrection d’un suicidé », un moyen aussi de conduire le héros à l’introspection, au doute, car « ceux qui se suicident n’ont pas toujours eux-mêmes une raison claire qu’ils pourraient exprimer pour justifier leur acte ».

Cet ouvrage a été écrit en 2011, alors que Keiichiro Hirano passait le cap des 36 ans, l’âge de son père quand il est décédé: « Cela m’a poussé à réfléchir à la mort. C’était aussi après le tsunami de mars 2011 qui a tué plus de 18.500 personnes. Je voulais en outre depuis longtemps écrire sur le suicide des jeunes, un problème majeur. »

Secouer le lecteur

Keiichiro Hirano: des romans à Twitter, de Balzac à Debray

Ainsi, la société japonaise et ses travers se lisent-ils aussi dans Compléter les blancs. Un suicidé est souvent vu au Japon comme un perdant car « si on échoue une fois, on n’est pas autorisé à recouvrer le bonheur. Beaucoup de mes compatriotes s’enferment dans le passé d’un échec et n’avancent pas vers l’avenir. »

Hirano, également intéressé par les nouveaux médias, sciences et technologies, grand lecteur de livres de médiologie du philosophe français Régis Debray, rend compte de son époque. « Pour écrire des histoires dans le temps présent, il faut le comprendre. Via les romans, les lecteurs cherchent aussi des clefs pour réfléchir à l’avenir. »

Dans Compléter les blancs, s’exprime ainsi la méfiance du héros et de ses proches face à internet, un espace mondial mais qui, au Japon, a une tournure particulière, empreinte d’une culture d’anonymat, de délation et de brimades. « Les Japonais ne ressentent pas le poids de la religion. Sur Internet, seuls devant l’écran, ils ne sont pas retenus par la hantise que Dieu les voie », avance Hirano, qui file volontiers sur les sujets sociétaux la comparaison avec la France, où il a vécu un an. « Les Japonais, contrairement aux Français, ne communiquent pas facilement avec un inconnu. Quand un homme nippon croise une très jolie fille, il n’osera pas lui adresser la parole. Cette tendance se renforce avec Internet. »

La Toile, Keiichiro Hirano, ardent défenseur de la liberté d’expression, l’utilise beaucoup, mais surtout pour prendre position, sans se masquer, comme dernièrement contre la loi dite « sur les délits de complot » poussée par le Premier ministre Shinzo Abe. « Le risque est que le pouvoir de la police s’en trouve trop renforcé et que, pour des raisons floues, des particuliers soient arbitrairement surveillés », argue-t-il. Son but, sur Twitter, dans les tribunes qu’il publie dans la presse, dans ses romans ou essais, est le même: secouer. Un récit prend sens quand il n’est « pas seulement intéressant, mais que celui qui l’a lu a conscience ensuite d’un changement en lui ».

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