Judith Vanistendael: « J’ai besoin de me surprendre »

© Daphné Tileca/Le Lombard
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteure bruxelloise aime surprendre, surtout elle-même. Son troisième album sera donc un polar noir et humide, dans la veine de ce récit inédit dessiné pour Focus.

« Attention, cette histoire n’est pas un extrait de l’album à venir. C’est une scène écrite et dessinée expressément pour Focus, qui s’inscrit dans l’histoire qui viendra. Et qui a été un excellent exercice pour moi, qui a débloqué les choses techniquement. Je peux me lancer dans le reste maintenant, merci à vous! »

Le récit qui va suivre est et restera donc inédit, même s’il ouvre la porte du nouvel univers de Judith Vanistendael: elle qui fait encore la devanture des librairies avec son fantastique roman graphique David, les femmes et la mort sorti en février dernier chez Lombard, s’apprête, à nouveau, à changer radicalement de fond et de technique, tout en puisant comme d’habitude dans son intimité. Là où David… attaquait de front la tragédie du cancer, dans un récit plein de couleurs et composé à l’aquarelle, ses nouvelles planches plongent cette fois le lecteur dans un univers noir et gris, poisseux et au feutre, nées du quotidien d’un garde du corps en poste dans le fief l’ETA, l’organisation terroriste basque espagnole. Un univers à l’opposé de tous les précédents, si on n’y retrouvait pas son sens singulier du récit, sa patte, et un peu de sa vie: « Mark, dont je dessine ici l’histoire, est devenu mon compagnon. Je l’ai rencontré en Espagne, il vit ici désormais et c’est de sa propre histoire qu’il s’agit; il était garde du corps, chargé de protéger des cibles potentielles de l’ETA. Il a quitté la lutte armée depuis plus d’un an maintenant, mais sa vie est incroyable, il fallait la raconter. »

Une histoire d’homme

Comme tous les artistes qui ont soif de liberté, Judith Vanistendael a toujours laissé les récits s’imposer à elle. Quand on la découvre il y a quelques années avec La jeune fille et le nègre, récit en noir et blanc d’une romance forcément malheureuse entre un réfugié togolais et une jeune fille belge, on comprend vite qui est la jeune fille de ce roman graphique -d’abord réalisé en néerlandais et publié par « Oog en Blik », la très exigeante maison d’édition du Hollandais Joost Swarte. Avec David, les femmes et la mort, on devine que les maux dépeints ont frappé la famille, et que ces scènes de chambre stérile, quoique parfois oniriques, n’ont absolument rien de fictif. Il ne faudra donc pas s’étonner du réalisme qui transpire de ce récit d’angoisse, de nuit et d’action juché dans le nord de l’Espagne: il n’est finalement pas si éloigné du quotidien de cette artiste menue, qu’on n’imagine pas dessiner des flingues, des bagnoles et des Basques balèzes. Dont acte: c’est exactement ce qu’elle cherchait!

« Je ne veux surtout pas me répéter ou m’endormir, explique la jeune femme, qui est entre autres passée entre les mains de Johan De Moor et de Nix quand ils sévissaient à Sint-Lukas. J’ai besoin de me surprendre, de me mettre en danger. Ici, le défi, c’était de se lancer dans un récit purement masculin: des flingues, des voitures, le terrorisme… Pour sortir de ce milieu, Marko a dû dépenser une énergie énorme. J’ai fait pareil. Je me suis attaquée à l’inconnu, avec des ambiances beaucoup moins « blanches » que d’habitude, un vrai travail sur le noir et le gris, les atmosphères. La vie d’un garde du corps, c’est parfois terriblement ennuyeux. Il fallait pouvoir rendre ça aussi, ainsi que des scènes d’action. Et puis l’humidité, la chaleur, le climat très particulier du nord de l’Espagne. » Judith Vanistendael n’en est pas il est vrai à un défi prêt: avant de se lancer dans David, elle avait marché jusqu’à St-Jacques de Compostelle en réalisant une aquarelle par jour, histoire d’affiner sa technique…

La vie de Marko ne deviendra album qu’en 2013, à nouveau aux éditions du Lombard. Il va donc falloir se délecter de ce récit exclusif. Ensuite, si vous passez dans le quartier du canal de Bruxelles, à Molenbeek, vous regarderez autrement l’un des portraits géants affichés sur les lieux, initiative visant à célébrer les « héros » du coin -la jeune femme souriante, c’est Judith. « Ah, ça! Des jeunes du quartier ont été sollicités pour poser avec leur héros ou héroïne. Moi, je suis l’héroïne de Sarah, une jeune voisine de Molenbeek qui baby-sitte mes enfants. Elle aime bien le fait que je sois à la fois maman et auteure… La photo, d’habitude, je déteste. Mais je suis contente de faire partie de ces visages-là. »

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