Jean-Pierre Marielle, Fritz, et Tony Chu, nos trois choix de lecture pour les vacances

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Une autobiographie de Jean-Pierre Marielle sous forme (intelligente) d’abécédaire; un roman russe où Fritz, émigré squatteur à Paris, se souvient de son enfance et sa jeunesse en Russie; et un comic résolument bloqué au stade oral.

Le grand n’importe quoi, de Jean-Pierre Marielle, éditions Calmann-Lévy, 214 pages.

Confronté à l’exercice de l’autobiographie, c’est pour l’abécédaire qu’a opté Jean-Pierre Marielle, élan judicieux tant la forme sied parfaitement à l’esprit aiguisé de l’acteur des Galettes de Pont-Aven et autre Tous les matins du monde, à l’affiche, tout récemment encore, du Micmacs à tire-larigot de Jean-Pierre Jeunet.

Si le comédien a pu, à l’occasion, faire le grand écart, l’homme, pour sa part, se dévoile multiple dans ce qui constitue l’inventaire d’une vie, invitant à une balade où il nous fait partager ses amitiés (Belmondo, Carmet, Rochefort, et on en passe) comme ses passions où les Lettres et le jazz occupent une place de choix, tout près de Gene Tierney, « une sorte d’idéal féminin, verlainien, qui m’apparaît dans des rêves étranges et pénétrants… ».

Intimité et anecdotes (voir, par exemple, celle figurant à l’indice Mer (des Caraïbes)) font ici bon ménage, Marielle évoluant au fil de l’une et des autres avec une même élégance, à quoi il ajoute, quand le besoin s’en fait sentir, ce qu’il faut de détachement. Ainsi, par exemple, s’agissant de la condition d’acteur: « Vous ne savez rien faire, si ce n’est prétendre être capable de tout ».

Soutenu par une plume alerte, le puzzle de sa vie se parcourt avec bonheur. S’il a le trait caustique à l’occasion, Marielle ignore la méchanceté gratuite, à laquelle il préfère l’apparence de la désinvolture. A ceux qui le tiennent pour décalé, il répond être « certain que je ne suis calé en rien » (ce que démentent par ailleurs ses propos), arpentant une existence qu’il qualifie d' »imprévue » avec une gourmandise teintée de sagesse et de sérénité discrète, pour assurer, tranquillement, à la rubrique Devise: « Ne jamais faire d’effort, ou le moins possible, ne m’a pas empêché d’arriver là où je suis (où? Je n’en sais rien, mais j’y suis bien) ». Un grand Monsieur, dans tous les sens du terme. (J.-F.Pl.)

Le syndrome de Fritz, de Dmitri Bortnikov, éditions Noir sur Blanc, Traduit du russe, 192 pages.

Lente descente dans l’enfer des souvenirs d’un Russe errant… A Paris, dans un squat d’émigrés, un homme écrit sur les draps de son lit défait. Il fait glacial et il n’y a pas d’électricité. Fritz est nu, les yeux bandés. Il n’a d’autre richesse que sa mémoire et replonge dans son passé, y cherchant quelques sourires perdus cachés derrière les cauchemars. Il traverse la campagne aride et retrouve l’enfant obèse qu’il était, celui qui, lors d’une bagarre, a voulu étouffer son père de sa graisse. Un père qu’il détestait et qui disait: « Personne ne t’aimera jamais, gros lard. Personne ne t’a jamais aimé de toute façon, excepté ton arrière-grand-mère, et encore, parce qu’elle n’y voyait goutte. »

Entre la vieille femme protectrice et un grand-père poivrot, habitué à débiter des histoires morbides et loufoques, le petit Fritz s’en sort en faisant le bouffon. Viendront ensuite les années encore plus noires de l’armée, au fin fond de l’Arctique, et la confrontation avec le monde impitoyable des hommes sans coeur.

Dans une langue à la fois crue et poétique, l’auteur nous entraîne dans une sorte de tourbillon initiatique qui n’est pas sans rappeler Stalker, ce chef-d’oeuvre du cinéma soviétique. Des paysages sombres, presque des photos en argentique, où évoluent des personnages accrochés à leur folie, épluchant leurs souvenirs, pareils à des éclats de miroirs effilés qui ne peuvent que blesser profondément. Pourtant, la dérision et l’humour sont présents, comme des sauveurs de désespoir.

Dmitri Bortnikov est une star de la littérature russe contemporaine. Avant d’écrire, il a été cuisinier, aide-soignant dans une maternité, prof de danse et légionnaire. Le syndrome de Fritz a été couronné par le Booker Prize russe, ainsi que par le Prix du Best-Seller national. Bortnikov vit aujourd’hui à Paris. Son langage puissant s’incruste en douce autour d’un récit tissé de barbelés et de filles perdues. Désespérément beau et triste. (N.M.)

Tony Chu, détective cannibale, de John Layman et Rob Guillory, éditions Delcourt.

Sigmund Freud en version polar comics déjanté, cela donne Tony Chu, inspecteur de police « cibopathe ». Derrière ce néologisme se cache un homme capable de retracer l’histoire de ce qu’il mange. Il croque une pomme et sait d’emblée sur quel arbre elle a poussé et quel pesticide elle a ingurgité. Donnez-lui de la viande et des scènes d’abattoir noient son esprit. Etrangement, seule la betterave s’avère neutre pour son palais fatigué. On comprend vite pourquoi il s’en gave…

Le jour où il s’offre une tranche de serial killer pour savoir ce qu’il a fait de ses victimes, son « talent » tape dans l’oeil de Savoy, inspecteur émérite du service Répression des aliments & stupéfiants (R.A.S.), division des crimes spéciaux. Une nouvelle affectation où Chu devra s’habituer à déguster du cadavre, humain ou pas, et le plus souvent froid.

L’idée de base, séduisante, sert de terreau à un récit bien barré, comme on les aime. Un comics résolument bloqué au stade oral et qui, malgré un cannibalisme flirtant avec le craspec, met l’eau à la bouche. La série s’est d’ores et déjà offert un prestigieux Eisner Award et devrait avoir les honneurs de la télévision grâce à Stephen Hopkins (Californication, 24 heures saison 1). (V.D.)

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