James Salter et le bûcher des ambiguïtés

James Salter © Tulane Public Relations/Wikicommons

Jusqu’à sa mort vendredi dernier, James Salter, 90 ans, continuait à faire le sel des lettres américaines. Nous l’avions rencontré lors de la sortie de dernier roman, Et rien d’autre, le portrait d’un homme qui scrute son existence sans complaisance.

Imaginez un ancien pilote de chasse américain nourrissant un moineau parisien. « Je suis si ému, c’est la première fois qu’un oisillon vient picorer des biscuits dans ma main », s’émerveille James Salter. A 89 ans, il cultive à la fois la simplicité et un style altier. Un héritage de sa formation à la prestigieuse académie militaire, West Point. Il revêt ensuite l’uniforme de l’US Airforce. On le croirait taillé dans un roc, mais Salter effectue un drôle de salto en devenant écrivain. « Intéressé par les livres, je m’y suis mis par mimétisme. Mais j’avais déjà l’habitude d’être muni d’un stylo et d’un morceau de papier. J’aime l’idée qu’une fois que quelque chose est écrit, ça m’appartient. » En témoignent ses mémoires, Une vie à brûler ou son roman Un bonheur parfait. Et rien d’autre (L’Olivier) s’inscrit dans la même veine, le parcours d’un homme – à priori éclatant – relatant ses grandiloquences et ses échecs.

Bilan brinquebalant

Quelle vérité reste-t-il finalement d’une vie ? Telle est la question qui taraude Philip Bowman. Engagé dans la Seconde Guerre mondiale, l’Américain rentre au pays avec l’envie de conquérir la littérature et le coeur des femmes. Il s’impose peu à peu dans le monde de l’édition et ses arcanes insoupçonnés. Un milieu sacrément secoué par l’évolution sociale et technologique. Si « le roman perd sa proéminence, depuis une cinquantaine d’années », James Salter est persuadé « que la littérature ne disparaîtra pas. Nous ne serions pas les mêmes créatures sans elle car, elle est notre mémoire, notre esprit. » Son héros a beau s’en être nourri, il se laisse piéger par le règne des apparences, tant il a l’appétence de réussir. Or une fois balayée la vanité d’une success-story, Bowman se livre une guerre solitaire. Aux yeux de l’auteur, « il existe deux vies : celle que les gens pensent qu’on vit et celle qu’on a vraiment au fond de soi. Ce personnage recherche en réalité un foyer, parce qu’il rêve de fonder une famille. Or sans amour, on loupe l’essentiel. » Les personnages féminins tiennent un rôle prépondérant. Tantôt frustrantes, tantôt éclatantes, elles semblent tenir les ficelles d’un protagoniste parfois perdu. « Les femmes nous enseignent la civilisation », soutient Salter. « Elles nous apaisent et nous permettent de nous comprendre, même dans ce monde quasi animalier. Le roman raconte finalement comment devenir un homme… » Coquin, l’écrivain avoue que sa mutation s’est opérée lors de la guerre, « mais je pense être resté un homme depuis (rires). Mes livres n’ont pas la prétention de dresser un portrait de l’Amérique, or il est vrai que je suis le produit de cette culture, de cette langue, de cette histoire et de son art. » A quel point sommes-nous alors maîtres de nos destins ? Une question qui traverse inlassablement ces pages. « On ne décide de rien », affirme James Salter, très terre-à-terre. Alors que son protagoniste se demande comment devenir le héros de sa propre vie, l’auteur réfute cette expression. « Chaque soldat et policier est désormais qualifié de héros, aussi ce mot s’est-il dégradé. L’héroïsme est plus complexe que cela… Non seulement il se distingue par tout ce qui nous définit, mais il désigne aussi les bonnes choses à faire. » Visiblement perdu dans ses pensées, James Salter rajoute « qu’il faut avoir du courage dans la vie. Physiquement, je suis trop âgé pour ça, mais mentalement ça va. Je suis plus lent, mais pas encore gaga (rires) ! » C’est également le constat de son personnage principal, confronté au vieillissement. Il regarde en arrière, alors que Salter s’avère plus ancré dans le présent. Franc, il avoue « qu’il y a beaucoup de plaisirs à être vieux, notamment la possibilité de mieux saisir notre fonctionnement et celui du monde. »

Et rien d’autre, par James Salter, éd. L’Olivier, 365 p.

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