James McBride, l’oiseau rare

James McBride © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’écrivain et musicien James McBride donne corps à un western salué outre-Atlantique, truculent et picaresque, qui défie autant les clichés que les identités.

A priori, rien de drôle: dans L’Oiseau du Bon Dieu, James McBride mêle fiction et réalité en retraçant le parcours du garçonnet Henry Shackleford, jeune esclave noir libéré malgré lui par le légendaire abolitionniste blanc John Brown. Lequel déguisera en fille le petit Henry pour l’emmener avec lui dans son épopée sauvage, romanesque et sanglante, et dont la conclusion aurait, dit-on, marqué les débuts de la guerre de Sécession. Rien de drôle donc, si le petit Henry n’était pas bourré d’humour, si John Brown n’était pas un fou de Dieu complètement dingo, et si James McBride n’était pas convaincu qu’il faut « mettre du fun dans l’Histoire » et surtout, surtout, ne pas viser un autre 12 Years a Slave, le parfait contre-exemple de ce qu’il faut faire selon lui: « Je n’ai pas vu le film, et je ne veux pas le voir! Des mauvais Blancs, des gentils Noirs… On ne prêche que des convertis avec ce genre de clichés! Or moi je veux convaincre mon cousin Herbert ou ma soeur Hélène et prendre le contrepied de leurs convictions: il existe aussi des Blancs honnêtes et des Blacks pas sympas. » Le contrepied, McBride connaît ça, effectivement: dès son premier livre autobiographique, en 1996 (La Couleur d’une mère), l’auteur revenait sur sa jeunesse à Brooklyn, huitième enfant d’une famille de douze, élevé par un père révérend noir mais aussi par une mère… juive, polonaise et blanche. Une identité donc plus complexe que la couleur de sa peau, dans un pays qui n’en finit pas d’en faire une fixette. McBride, depuis, cultive sa différence: à la fois écrivain et musicien (saxophoniste), libertaire et homme de foi, cet ami de Spike Lee qui déjoue les clichés s’est vu décerner en 2013 le prestigieux National Book Award pour son Oiseau effectivement rare. Une distinction qui, il l’espère, ne lui rapportera ni trop d’argent, ni trop de lecteurs: « J’ai tout ce qu’il faut pour vivre et être heureux. »

On connaît peu, en Europe, l’histoire et la figure de John Brown, abolitionniste que Lincoln lui-même qualifiait de fanatique…

Aux Etats-Unis, c’est encore pire. On connaît très peu l’Histoire, et encore moins la contribution des Noirs américains à celle-ci. John Brown, un Blanc qui a donné sa vie à la cause noire, n’existe plus dans les programmes scolaires. Moi je m’en souvenais via une chanson de gospel que les vieux de mon église chantaient parfois, La Parole de John Brown. Il fallait juste trouver la bonne manière de raconter son histoire: il existe déjà des dizaines de livres sur lui, mais personne ne les lit! Moi je voulais surtout raconter une histoire d’amour, entre un jeune garçon et un homme. Un petit garçon un peu fou, et un homme complètement dingue. Et pour le personnage de l’homme, je voulais quelqu’un qui ait à la fois l’innocence d’un gamin et la sagesse d’un vieillard. John Brown était parfait: il était illuminé, mais aussi très sage, et très drôle.

James McBride, l'oiseau rare
© Gallmeister

Cet humour, omniprésent dans L’Oiseau du Bon Dieu, en fait sa particularité; on ne s’attend pas à ça, sur un tel sujet dramatique. En français, on parlerait de roman picaresque…

Mais l’Ouest sauvage est justement le lieu parfait pour ce genre de personnages et d’histoires: il n’y a pas de limites géographiques, les gens y sont parfois « bigger than life »… Et je suis convaincu que la comédie aide à vivre -regardez les enterrements: on y rigole toujours beaucoup, non? Le rire donne aussi la liberté de pleurer. J’ai aussi écrit des livres « sérieux », mais je n’y arrive plus. Je dois m’amuser pour sortir chaque jour de mon lit et me mettre à écrire. Si tu sais qu’un fou rire et un bon café t’attendent, ça te motive.

De l’humour donc, et aussi beaucoup d’incorrections: dans votre roman, John Brown n’est pas abolitionniste par conviction. Mais juste parce qu’il est dingue…

C’est une question de point de vue: moi par exemple, je suis contre le réchauffement climatique. Mais si je viens chez toi pour voler ta voiture, qui participe effectivement de ce réchauffement, je ne suis pas un militant du combat climatique, je suis juste un voleur de voitures! Donc oui, John Brown a lu dans la Bible que tous les hommes étaient égaux, l’a pris au pied de la lettre et s’est lancé dans une croisade qui a fait de nombreuses victimes. Il était très religieux, et un peu fou. Je suis moi-même un homme de foi, de religion, je peux donc me permettre de les critiquer: la religion est ce que les hommes en font -regardez le terrorisme. Je crois en tout cas qu’à sa mort, si Saint-Pierre a dû lui flanquer d’abord une bonne fessée, il l’a ensuite laissé passer. C’était un voleur, un meurtrier et un homme torturé, mais il avait le coeur à la bonne place.

Est-ce difficile de conserver sa liberté de ton et son originalité après ce National Book Award?

C’est vrai qu’on n’ose plus faire de blagues après un tel prix -tout le monde croit que tu es intelligent! Il ne me rend en tout cas pas plus libre, je dois au contraire être plus prudent avec ce que je dis, ce que je fais. C’est pour ça que depuis, je me tiens assez éloigné des médias ou de la célébrité. Un acteur très puissant à Hollywood, très important, qui me fera sans doute un procès si je le cite (pas la peine, on a reconnu Will Smith, NDLR), m’a proposé des millions pour adapter le livre, mais je ne sais pas encore, ils risquent d’en faire n’importe quoi. C’est Dieu qui décidera de la destinée du livre, pas l’argent. Ce qui compte, c’est d’être heureux avec ce que l’on fait, pas ce que ça rapporte. J’ai eu l’occasion de travailler avec les équipes de Quincy Jones. J’ai vu des personnes heureuses. Ça vaut mieux que le fric ou que la célébrité. Je veux pouvoir encore me planter et ne pas trop en souffrir.

L’OISEAU DU BON DIEU DE JAMES MCBRIDE, ÉDITIONS GALLMEISTER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR FRANÇOIS HAPPE, 448 PAGES. ****

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