Critique | Livres

Impurs: famille, je vous hais!

© Diana Matar
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | David Vann laisse mijoter la relation pathologique entre une mère et son fils dans la touffeur californienne. Hot & spicy.

Après avoir frotté au papier de verre la relation père-fils dans le saisissant Sukkwan Island, puis brisé les dernières illusions sur le couple dans le non moins terrifiant Désolations, David Vann se paye aujourd’hui le scalp du tandem mère-fils. Une nouvelle variation sur la famille pour cet auteur américain qui n’a jamais caché puiser dans sa biographie, mitée par les mensonges et les suicides, les ingrédients de ses romans.

Tous ceux qui ont dévoré Sukkwan Island se souviennent de ce père tentant pathétiquement de se racheter une conduite en emmenant son fils de 13 ans pour un séjour de longue durée sur une île perdue d’Alaska. Un geste égoïste, puéril et même inconscient qui allait virer à la tragédie, avec la nature comme révélateur implacable des faiblesses humaines.

Pour son nouveau livre, Impurs, David Vann change de décor. Il délaisse les paysages grandioses et le froid polaire de son enfance pour la fournaise californienne. C’est là, dans un bled transformé en four à ciel ouvert pendant les trop longues journées, au coeur d’une propriété décatie adossée à un verger de noyers, que va se jouer cette fois le drame. Un drame en deux actes.

Galen a 22 ans. Il vit reclus avec une mère, Suzie-Q, ultra possessive qui lui a coupé les ailes financières pour éviter qu’il ne s’envole du nid. Faute d’avoir eu le courage de couper le cordon, cet ado attardé s’est réfugié dans le bouddhisme, aspirant à une forme de détachement ultime qui l’extrairait de la fange du réel. Autour de ce duo boîteux gravite la grand-mère, placée dans un home pour cause d’Alzheimer, la tante Helen et sa fille Jennifer, ces dernières bien décidées à récupérer le pognon de la mamy que Suzie-Q garde jalousement. Non sans régler quelques comptes au passage. Car si cette famille marine dans l’acide, c’est qu’elle traîne un boulet. Malgré les tentatives de la mère pour entretenir l’illusion de la normalité, l’ombre posthume du grand-père violent plane sur la petite troupe comme une malédiction.

Folie ordinaire

Pris dans cet écheveau féminin, Galen passe son temps entre la masturbation et la méditation. Sauf que ses prétentions spirituelles ne peuvent rien contre l’attrait de la chair. Surtout quand elle prend la forme suave de sa cousine de 17 ans. Ce qui nous vaut quelques scènes érotiques du plus haut comique. Ce sont bien les seules d’ailleurs. Car l’ambiance est plutôt plombée comme le soleil qui écrase tout. Connaissant le goût de David Vann pour les dérapages, on se doute bien que cet édifice branlant posé sur des piliers rongés par la névrose finira tôt ou tard par s’écrouler. Et c’est ce qui se passera au terme d’une virée sous haute tension dans la cabane familiale. Le roman bascule alors dans un huis clos anxiogène entre Galen et sa mère, qu’il séquestre dans un hangar, la haine souterraine jaillissant à la surface et se muant en folie au contact de l’air.

Même si l’effet de surprise s’est un peu émoussé, et si certains passages traînent un peu en longueur, David Vann confirme qu’il est passé maître dans le dépeçage des sentiments frelatés. Servis ici dans un style dépouillé, au plus près d’une végétation qui est tout sauf apaisante. Un cauchemar. En pire…

ROMAN DE DAVID VANN, ÉDITIONS GALLMEISTER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR LAURA DERAJINSKI, 290 PAGES. ***

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content