Critique | Livres

Elsa Marpeau, une femme en colère

Elsa Marpeau © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | Elsa Marpeau publie son 4e roman noir dans la série du même nom. Lequel revient en 44, quand plus de 20.000 femmes furent tondues, victimes de l’épuration.

Elsa Marpeau, une femme en colère
© Gallimard

24 août 1944, dans l’Yonne: « Marianne court sur la route de l’Ecarris. » Derrière elle, une foule en colère, « une rancoeur venue du fond des âges, du fond des tripes »: la foule va l’attraper, la violenter et la tondre. Car il y a, paraît-il, « une collabo chez les Marceau ». 30 août 2015, à Sens, non loin de là: Garance, capitaine de gendarmerie, traverse la ville en se demandant qui sont vraiment ces gens qui ont donné leur nom aux rues. Mais elle ne vérifiera pas aujourd’hui: elle doit d’abord aller constater le meurtre de Medhi Azem, prof d’Histoire-géo abattu en pleine campagne, sur le terrain de la famille Marceau. Une famille nombreuse mi-tarée, mi-précaire, et un prof d’Histoire qui planchait sur un essai, Le Retour de la colère: « Pour lui, le monde s’apprêtait à revivre un basculement aussi irréversible que la Seconde Guerre, Hiroshima, les camps. » Inutile donc d’essayer d’oublier le passé, même honteux: « Quand on l’aura complètement effacé de nos mémoires, le passé renaîtra de ses cendres. » En attendant cette sombre prophétie, Garance va donc enquêter sur deux crimes distants de 70 ans, évidemment bien plus proches qu’il n’y paraît, et dont l’écho dépasse largement le « simple » fait divers. Comme souvent chez Marpeau.

France qui pue, France qui tond

Après L’Expatriée, polar vénéneux dans le milieu moite des expats, la plume d’Elsa Marpeau revient donc sur le sol français pour gratter une fois de plus, comme pour tout bon polar qui se respecte, quelques plaies loin d’être cicatrisées. A savoir cette fois ce moment peu commenté et surtout peu glorieux de la fin de la Seconde Guerre mondiale que fut l’épuration, et en particulier la tonte des femmes, pour beaucoup suspectées de « collaboration horizontale ». Plus de 20 000 furent ainsi victimes de foules en colère, formées de vaincus redevenus vainqueurs, comprenant « des résistants de la première heure, et d’autres de la 24e », mais aussi des femmes. « Certaines lui auraient arraché les cheveux par touffes, si elles avaient pu. Même les gosses participaient à la fête. » Elsa Marpeau, sans en faire trop et sans perdre le fil toujours très féministe de son polar, décortique ce moment historique, ses erreurs même pas judiciaires et ses raisons, bonnes ou mauvaises –« Ressouder la communauté derrière un bouc émissaire. Créer un spectacle, comme les exécutions publiques. » Une évocation du passé en prise avec le présent et cette France qui décidément n’en finit plus de puer. Elsa Marpeau l’avait déjà évoquée via Black Blocs et une plongée dans les milieux d’extrême-gauche; elle y revient par la bande, l’Histoire et à nouveau un excellent polar, hélas crédible.

  • ET ILS OUBLIERONT LA COLÈRE, D’ELSA MARPEAU, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, 234 PAGES.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content