Critique | Livres

Elsa Marpeau, l’étrangère

© Hélie Gallimard
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

POLAR | La romancière française passe de l’anarcho-terrorisme parisien aux « condos » cosy de Singapour, mais reste branchée lutte des classes et des genres.

L’EXPATRIÉE D’ELSA MARPEAU, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, 260 PAGES. ****

Elsa, jeune romancière, suit son mari ingénieur à Singapour. La voilà devenue expatriée, véritable statut social dans les condos chics de cette cité-Etat, étouffante et grouillante: une piscine, des appartements chics, d’autres « expats » européennes en maillot, avec toujours, des maids philippines à leur service. Le paradis? Plutôt l’enfer: Elsa y découvre l’écrasement de la chaleur, le désoeuvrement social et l’horreur de ces rapports sociaux dignes des colonies… Jusqu’ici, on vous parle à la fois d’Elsa, l’héroïne de cet Expatriée, et d’Elsa Marpeau, son auteure, qui use pour la première fois de l’autobiographie.

La suite tient de la fiction, mais allez savoir, avec elle, l’ambiguïté n’est jamais loin: un « Arabe blond » va faire son apparition et devenir son amant, le temps d’être sauvagement poignardé. La maid d’Elsa va éloigner les soupçons à son encontre, mais pas à n’importe quel prix: celui-ci sera étouffant comme le climat et pervers à souhait… Roman noir sous le soleil, thriller psychologique et polar d’autofiction formidablement écrit, puisant à de nombreuses références autres qu’elle-même, des romans de Nerval en passant par Fight Club et surtout L’Etranger de Camus, présent en épigraphe et en filigrane, L’Expatriée confirme la place prise par Marpeau dans le paysage des mauvais genres français: importante.

Vous nous aviez laissé, avec Black Blocs, au bord d’une guerre civile et anarchiste à Paris, on vous retrouve au bord d’une piscine à Singapour… L’envie du contrepied?

L’ambiance est ici plus bourgeoise et feutrée, c’est sûr! Mais déjà, un premier point commun, c’est qu’il s’agit à nouveau d’un personnage de femme a priori « normale », qui bascule petit à petit dans la folie, qui va perdre ses repères… Ça, et le renversement des genres, féminins ou masculins: j’aime intégrer des glissements pour qu’ils ne correspondent pas à ce qu’ils sont censés être. J’y tiens beaucoup.

On retrouve aussi, autre point commun, un discours, fort, sur la lutte des classes…

Bien sûr. Je voulais absolument parler de cette communauté blanche qui croit que tout lui est permis. Ce monde européen vieillissant qui pense encore avoir le pouvoir, alors qu’il est mort. Qui méprise l’Asie, les Philippines, alors que ce sont eux qui ont aujourd’hui des volontés de domination. On trinque au-dessus des tombes!

L’Expatriée est donc, aussi, une autofiction. Pourquoi ce choix, à votre troisième roman dans la Série Noire?

Pour l’ambiguïté que la manière amène, déjà: ça gratte, et le polar est fait pour ça. Ensuite, ça fait partie de ma propre évolution, d’un livre à l’autre on a moins peur de s’approcher de soi, de sa part d’ombre. Mon premier roman parlait d’un chasseur, il n’y a pas plus éloigné! J’ose de plus en plus incarner les personnages, essayer d’atteindre une certaine vérité: il n’y a pas de raison d’aller chercher des salauds ailleurs, on en a tous tapis en nous.

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