Laurent Raphaël

Édito: Parfum d’échecs

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’école de la réussite, le culte de la performance, échec à l’échec… Le langage courant a intégré le diktat très contemporain du succès à tout prix.

L’école de la réussite, le culte de la performance, échec à l’échec… Le langage courant a intégré le diktat très contemporain du succès à tout prix. Durant sa scolarité, tout au long de sa carrière, dans sa vie sentimentale, dans son rôle de père ou de mère, voire dans ses loisirs, il est mal vu d’échouer. Comme si l’échec provoquait un retard insurmontable sur un plan de vie fantasmé. Pire, se planter, ce n’est pas juste stagner, c’est d’office reculer, régresser pour notre inconscient bombardé d’incantations à se surpasser dès la petite enfance.

Dans un essai farci à la sagesse et au bon sens qui annonce la couleur dès le titre, Les Vertus de l’échec (éditions Allary), le philosophe Charles Pépin invite à revaloriser fissa le faux pas. Moins par mansuétude pour celui qui connaît un moment de faiblesse que pour le surplus de vitamines qu’apporte un revers bien digéré. « Serge Gainsbourg, écrit l’essayiste, a vécu comme un drame l’abandon de sa carrière de peintre à laquelle il se destinait. C’est avec le goût de l’échec dans la bouche qu’il s’est tourné vers cet art mineur qu’était pour lui la chanson. Mais c’est précisément ce qui l’a délivré de la pression qu’il s’infligeait en tant que peintre.« 

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On ne retient souvent du parcours des êtres d’exception que le moment où ils sont entrés dans la lumière, comme si pour eux se hisser au sommet n’avait été qu’une formalité, une suite de victoires sur une route toute tracée. La réalité est souvent nettement plus sinueuse. J.K. Rowling, Charles Darwin, Winston Churchill, Thomas Edison, Barbara ou encore Roger Federer ont mordu la poussière avant de connaître la consécration. « Je n’ai pas échoué des milliers de fois, j’ai réussi des milliers de tentatives qui n’ont pas fonctionné« , aurait répondu l’inventeur de l’ampoule électrique au collaborateur qui lui demandait comment il avait pu supporter autant d’échecs sans renoncer. De fait, la culture de l’échec est au coeur du processus scientifique. Dans son laboratoire, le chercheur procède par essai et erreur. Il part d’une intuition qu’il tente de valider en corrigeant à chaque fois l’élément qui foire. Si le risque d’erreur pouvait être évité, on ne s’amuserait pas à tester sur les animaux avant de mettre les nouveaux médicaments sur le marché. Comme a dit Albert Einstein, « une très grande série de succès ne prouve aucune vérité, quand l’échec d’une seule vérification expérimentale prouve que c’est faux. » Une autre manière de dire qu’on apprend de ses erreurs.

Cette règle d’or devrait suffire à nous convaincre de regarder la déconvenue avec plus d’empathie. D’autant qu’elle nous détermine en temps qu’êtres humains. « En nous trompant, en échouant, nous manifestons notre vérité d’homme: nous ne sommes ni des animaux déterminés par leurs instincts, ni des machines parfaitement programmées, ni des dieux« , observe Charles Pépin. Contrairement au chat ou au canard, nous sommes libres de nous tromper, de nous corriger, de progresser. Vu sous cet angle, ça donnerait presqu’envie de se vautrer, de provoquer la chute rien que pour en ressentir l’amertume qui rend le réel plus consistant, plus dense. Les Anglo-Saxons, qui ne sont pas à un paradoxe près puisque c’est aussi eux qui distillent dans le même temps l’idéologie de la performance et de la vitesse qui s’est répandue dans le sillage de la société numérique, vantent les mérites du « fail fast, learn fast » (échouer vite, apprendre vite). Un entrepreneur qui boit le bouillon tôt dans son parcours réussira mieux la seconde fois que celui qui enchaîne les coups gagnants. La volonté, la détermination et la vigilance seront plus solides. A tel point qu’à la faculté de médecine de Boston, qui ne peut satisfaire toutes les demandes, on choisit en priorité ceux qui ont échoué avant dans une autre filière.

Cette peur maladive du revers explique sans doute en partie le fléau des dépressions et des burnouts. On pousse la machine dans ses derniers retranchements pour répondre aux attentes, sauf qu’on récolte au bout une grosse gamelle au lieu d’une petite si on avait pris le risque de lâcher plus tôt. Il est donc bon de se rappeler que l’erreur est humaine. Et pour ne pas oublier les bons côtés de la défaite, on peut se faire tatouer sur l’avant-bras, comme le tennisman Stanislas Wawrinka, cette phrase de Samuel Beckett: « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaye encore. Echoue encore. Echoue mieux.« 

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