Dix raisons de regretter Jean Giraud, alias Moebius

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Moebius est mort ce samedi. Deux signatures (au moins) pour un même auteur, dont l’influence a largement dépassé l’univers de la bande dessinée.

Il ne reprendra plus ses crayons. Le dessinateur et scénariste de bande dessinée Jean Giraud alias Moebius est mort ce samedi matin à Paris. Il s’est éteint après de longues années de maladie, a annoncé une de ses proches collaboratrices.

Jean Henri Gaston Giraud, de son vrai nom, aurait eu 74 ans en mai. Dix raisons de le regretter.

1. Il a commencé la bande dessiné à 17 ans. Né le 8 mai 1938 à Nogent-Sur-Marne au sein d’une famille modeste sans sensibilité particulière pour les Arts, Jean Giraud s’est très vite passionné pour les cowboys. « A 7 ans, je gribouillais des colts dans les marges de mes cahiers. Leurs formes mystérieuses, changeantes, me fascinaient », explique-t-il dans une interview à L’Express. A 16 ans, il commence une formation d’arts appliqués. Un an plus tard, il crée sa première bande dessinée, Frank et Jérémie, publiée en 1956 dans sept numéros du mensuel Far-West. Déjà, l’adolescent imagine son propre univers, empruntant aux légendes de l’histoire américaine et aux paysages d’Amérique centrale, qu’il réutilisera pour d’autres collaborations, notamment avec le dessinateur Jijé la série Jerry Spring.

2. Il est l’auteur de la saga Blueberry. Très vite, le jeune homme se fait un nom dans le milieu de la bande dessinée. Au début des années 60, le « Neuvième art » s’émancipe. En 1963, le magazine Pilote, qui cherche une série western, fait appel à lui et publie le premier numéro de la saga Blueberry , sur un scénario de Jean-Michel Charlier. L’album, Fort Navajo, sortira deux ans plus tard, en 1965. Inspiré de Jean-Paul Belmondo, le personnage principal évolue sensiblement après Mai 68. La censure appliquée jusque-là à la littérature pour la jeunesse freine moins les artistes, dont Jean Giraud, qui charge son héros d’une animosité et d’une sexualité encore plus forte.

3. Il a collaboré à Hara-Kiri. Souhaitant élargir son horizon, il dessine de la science-fiction dans diverses revues. Et prend un pseudonyme pour l’occasion, Moebius, emprunté à un mathématicien allemand, August Ferdinand Möbius, et à l’anneau du même nom. Cette signature apparaît pour la première fois dans L’Homme du XXIe siècle dans Hara-Kiri, dès 1963. Le journal « bête et méchant » publiera une dizaine de ses histoires.

4. Jean Giraud, Moebius, deux oeuvres distinctes. « J’avais besoin d’un mot de passe pour naviguer d’un monde à l’autre et pouvoir en revenir, justifie-t-il dans un entretien accordé aux Inrockuptibles. Jean Giraud, ou dans une moindre mesure Gir, son troisième pseudo, est l’auteur de western qui applique les codes classiques de la BD du début des années 60. Moebius, lui, est un visionnaire qui écrit dans le futur. D’un côté Blueberry, de l’autre Arzach – dont les aventures font le bonheur des Humanoïdes Associés et de Métal Hurlant, la maison d’édition et le trimestriel (puis mensuel) « réservé aux adultes » qu’il créé en 1975 avec Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Bernard Farkas. Pas de Jekyll et Mr Hyde, pas de schizophrénie, mais deux oeuvres distinctes.

5. Il a bouleversé les codes et les formes de la BD. Avec le western, il est réaliste à l’extrême, mais aussi maître du rythme et du mouvement. Avec le Chilien Alejandro Jodorowsky, de 1981 à 1989, toujours fluide et facile, il dépasse la science-fiction et se frotte à la métaphysique dans la série de L’Incal, dont certains prétendent que les deux premiers volumes sont son chef d’oeuvre. Entre les deux, son style varie. A chaque fois, il fait bouger les lignes.

6. Le cannabis comme expérience transcendantale. Marijuana, champignons hallucinogènes, chamanisme, Jean Giraud est un adepte des substances et des techniques qui font rire – et travailler l’imaginaire. Initié au cannabis au Mexique en 1956, il ne s’en sert que pour se transcender, jamais, dit-il, pour un plaisir improductif: « Voir des copains s’allumer des pétards le matin au réveil fût le signe de la dérive. »

7. Il a beaucoup collaboré avec le cinéma. Dès 1975, il est sollicité pour travailler, déjà avec Alejandro Jodorowsky, sur l’adaptation de Dune, de Franck Herbert. Le projet ne verra jamais le jour – mais sera en grande partie recyclé dans L’Incal. Moebius a participé à de nombreux films à l’univers graphique saisissant: Alien, Abyss, Le cinquième élement, et Tron: l’original… La Fondation Cartier projette son premier court-métrage personnel.

8. La révolution Tron en 1982. L’univers du film co-imaginé par Moebius est entièrement informatisé. La production aussi. Deux premières et une petite révolution, qui a marqué jusqu’à la science-fiction d’aujourd’hui. En février prochain sort la suite, en France, Tron l’héritage, dont la bande originale a été composée par le groupe Daft Punk. Moebius ne figure pas au générique.

9. Il a réédité Arzak: destination tassili. Arzak l’arpenteur (1975) est un album onirique, qui a révolutionné le genre, par son absence de dialogues, voire de scénario disent ses détracteurs, son ambiance très sombre, son trait épuré. Un nouvel opus est paru en 2009 et a été réédité en 2010 en grand format et en couleur, sous le titre de L’Arpenteur.

10. Il est reconnu mondialement. Au delà d’Hollywood, il a influencé tout les nouveaux comics américains. Apothéose ? Son Surfer d’Argent, en 1988, écrit par le légendaire Stan Lee, pilier de Marvel. Au Japon, terre de manga, où la bande dessinée européenne est ultra-confidentielle, il est une référence pour de nombreux auteurs, comme Miyazaki, Tanigushi ou Otomo. Il a exposé à Kyoto en mai 2009.

Baptiste Manzinali

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