Décès de l’écrivain Tom Wolfe, chroniqueur au scalpel de l’Amérique

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FocusVif.be Rédaction en ligne

Inventeur du nouveau journalisme venu tardivement au roman avec le best-seller Le Bûcher des vanités, l’écrivain Tom Wolfe, décédé lundi à 88 ans, a radiographié la société américaine d’une plume décapante.

Son oeuvre, riche d’une dizaine d’essais et de romans, est tout entière soutenue par une conviction héritée d’une lecture assidue du sociologue allemand Max Weber.

Selon Tom Wolfe, « le statut d’un individu dans la société, son appartenance à une classe sociale et culturelle déterminent ce qu’il est, la façon dont il pense et se comporte, bien davantage que sa psychologie personnelle et son histoire intime ».

Lui-même n’a jamais cherché à se rebeller contre son milieu: la bourgeoisie blanche et conservatrice du sud des Etats-Unis.

Dandy courtois au chic démodé – invariablement vêtu d’un costume crème, de chaussures à guêtres et d’un feutre -, il se vantait d’être le seul écrivain américain à avoir voté pour George W. Bush en 2004.

Marié pendant près de 40 ans à la directrice artistique du Harper’s magazine, père de deux enfants, il menait un vie discrète entre Manhattan et l’île chic de Martha’s Vineyard, loin des scandales qui émaillaient ses romans.

Fils d’un agronome, conservateur et fervent croyant, Thomas Kennerly Wolfe Jr naît le 2 mars 1930 à Richmond (Virginie).

Accepté à Princeton, il choisit pourtant d’aller au collège de Washington & Lee pour rester proche de ses parents, avant de rejoindre Yale, sur les conseils de ses professeurs.

Diplômé en civilisation américaine, il débute dans le journalisme au Springfield Union, un journal du Massachusetts en 1956. Deux ans plus tard, il rejoint le Washington Post, comme correspondant à La Havane, puis dans la capitale américaine.

Le reportage devenu roman

En 1962, il démissionne et déménage à New York. Pigiste, il est envoyé en Californie par le magazine Esquire pour réaliser un reportage sur des fous de voitures.

Enthousiasmé par son sujet, il bloque quand vient le moment de coucher ses idées sur le papier. Le rédacteur en chef d’Esquire lui demande alors de lui décrire dans une lettre ce qu’il a vu pour s’en servir de matière première.

Libéré de son angoisse de la page blanche, il noircit 49 pages et… trouve son style.

Sous sa plume, le reportage devient un roman, The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby: les personnages sont mis en scène, les points de vues multipliés, des bouts de dialogues sont intercalés entre les descriptions, onomatopées et points d’exclamation se bousculent.

Sa carrière est lancée. Dix-huit mois plus tard, il est la figure centrale du « nouveau journalisme », bannière sous laquelle sont enrôlés – plus ou moins contre leur gré – Hunter S. Thompson, Norman Mailer et Truman Capote.

Pour Rolling Stone ou le New York Herald Tribune, Tom Wolfe rédige des chroniques décapantes sur la culture pop américaine, traitant de sujets apparemment hors de toute actualité: le marché de l’art, les courses de stock-car, le LSD…

Pourtant, sans prétendre à la moindre objectivité, il « sent », avant beaucoup d’autres, les grandes tendances sociologiques encore souterraines dans le pays, comme la vague hippie ou l’individualisme naissant des années 80.

Au delà du style, son travail repose sur une méticuleuse recherche documentaire, des heures d’interviews et des mois d’enquêtes.

Pour L’étoffe des héros (1979), son essai sur les pionniers de la conquête spatiale, il passe ainsi neuf ans à sillonner les Etat-Unis.

Admirateur de Zola

Quand, à 57 ans, il décide de se mettre à la fiction, il conserve intactes ses méthodes d’investigation.

Son premier roman Le Bûcher des vanités (1987) est un portrait hyperréaliste et cinglant de la ville de New York des années 80, dominée par la sphère financière.

L’ouvrage est un best-seller mondial. Les seuls droits d’adaptation au cinéma lui rapportent 5 millions de dollars.

Tensions raciales dans le vieux Sud (Un homme, un vrai, 1998), vacuité du système universitaire (Moi, Charlotte Simmons 2004), immigration (Bloody Miami, 2012)… le contempteur des moeurs américaines a fait feu de tout bois, quitte à plonger dans la caricature.

Son style échevelé lui a d’ailleurs valu des critiques acerbes de ses contemporains, notamment Norman Mailer et John Updike qui qualifiait Un homme, un vrai de « divertissement ».

Lui, n’a eu de cesse de proclamer son admiration envers le roman réaliste français, en particulier Zola pour son « approche journalistique du sujet et son intégrité ».

En 2016, à 85 ans, il montrait encore qu’il n’avait rien perdu de son acuité avec un nouvel ouvrage, Le règne du langage » un essai qui célébrait l’importance du langage dans les réalisations humaines.

« J’essaie simplement de livrer la vérité », disait-il alors au sujet de son approche littéraire et journalistique.

(Re)lire notre rencontre avec Tom Wolfe, parue en octobre 2016 à l’occasion de la réédition de The Electric Kool-Aid Acid Test, publié initialement en 1968: Trip halluciné avec Tom Wolfe: « aucune fiction dans mon livre! »

Les principaux ouvrages de Tom Wolfe

– 1968: « Acid Test »/ »The Electric Kool-Aid Acid Test » (essai)

– 1970: « Le gauchisme de Park Avenue »/ »Radical Chic & Mau-Mauing the Flak Catchers » (essai)

– 1975: « Le mot peint »/ »The painted word » (essai)

– 1979: « L’étoffe des héros »/ »The right stuff » (essai)

– 1987: « Le Bûcher des vanités »/ »The Bonfire of the Vanities » (roman)

– 1998: « Un homme, un vrai »/ »A Man in Full » (roman)

– 2004: « Moi, Charlotte Simmons »/ »I am Charlotte Simmons » (roman)

– 2012: « Bloody Miami »/ »Back to Blood » (roman)

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