Cyril Bonin: « A quoi ça sert de lire, d’être dans la fiction ? »

Dessinateur de bande dessinée, Cyril Bonin, c’est 8 tomes de « Fog » et un album de « Quand souffle le vent ». Pour la sortie du deuxième tome en tant qu’auteur complet de « Chambre obscure », il expose ses planches dans la galerie « Les petits papiers » à Bruxelles. Son trait, entre comics et art nouveau, interpelle. Cyril Bonin soulève quelques questions actuelles dans des décors d’une autre époque.

Comment est-ce qu’on passe à faire des gribouillis comme quand on est enfant à la véritable envie d’être auteur de bande-dessiné?

En fait, on passe par la fascination. Effectivement, tous les enfants gribouillent au départ. Il y en a qui arrêtent et il y en a qui continuent parce que le trait a quelque chose de fascinant au départ. C’est le premier moyen d’expression pour les enfants. Moi, j’ai gardé cette fascination pour le trait et de pouvoir mettre sur papier ces images mentales. C’est quelque chose qui ne cesse de m’étonner! Et puis, il y a la motivation de l’entourage : il y a des enfants qui montrent leurs dessins à leurs parents et on leur dit: « Oui, c’est bien, va jouer dans ta chambre. » Moi, ce n’était pas le cas, on s’intéressait, on me disait que c’était bien.

La première chose que l’on remarque dans vos dessins, c’est ce trait caractéristique: semi-réaliste, il se situe entre la caricature et la réalité.

Représenter la réalité telle qu’elle est dans le monde ici, c’est quasiment impossible. Pour cela, il faudrait être sculpteur et travailler de la matière vivante, mais j’essaye de pousser mes personnages vers le plus d’expressivité possible. Je cherche à ce qu’ils soient le plus eux-mêmes, quitte à exagérer certains traits: quelqu’un qui est très intelligent va avoir un très gros cerveau, tout en gardant une certaine mesure, de manière aussi à ce que le lecteur puisse s’identifier à eux et à pouvoir aborder différents niveaux d’émotions. Si on est trop dans la caricature, on va peut-être avoir du mal à émouvoir un public. Ce n’est pas impossible, mais c’est difficile pour moi en tout cas.

Vos histoires se déroulent toujours dans le passé. Comme disait Cabrel: « C’était mieux avant » ?

(Rires) Non, même si je peux parfois avoir une nostalgie pour des époques que je n’ai pas connues. Je ne dirais pas que c’était mieux avant parce que je crois que j’apprécie assez le confort que nous offre la vie actuelle. Surtout que ce confort ne va peut-être pas durer parce que les réserves naturelles en énergie vont s’épuiser, parce que la pollution fait des trous dans la couche d’ozone, parce qu’il y a Fukushima et tout ça…

Parce que le monde va mal…

Parce que le monde va mal! Mais je pense que si j’avais vécu à une autre époque, je n’aurais peut-être pas pu exercer ce métier. Même si au début du 20ème siècle, il y avait déjà des dessinateurs de bande dessinée. J’ai plutôt une fascination pour ces époques-là. Une fascination surtout esthétique pour l’architecture, le mobilier, etc. Et puis, bon, il y avait une esthétique particulière avec l’art nouveau qui touchait à tous les domaines de la vie.

Dans Chambre obscure, il y a aussi une dominante des couleurs brunes, jaunes et vertes.

Disons que de manière générale, je travaille avec une gamme de couleurs restreintes, car j’aime bien avoir un parti-pris coloré assez tranché. Et puis là, dans le deuxième tome, l’histoire se déroule beaucoup en extérieur. C’est l’hiver: ce qui fait que la neige est blanche, le ciel est gris, les ombres sur la neige aussi, donc on a déjà toute une gamme de couleurs très froides et j’ai donc contrebalancé ça avec des couleurs chaudes, par des lignes rouge-orangé qu’on retrouvent dans les voitures, dans la maison. Il y a ce contraste-là qui donne presque un album en bichromie.

On dirait que ce n’est pas l’histoire qui est importante pour vous, mais plutôt la confrontation des personnages atypiques.

Il y a une chose à laquelle je crois, c’est qu’une bonne histoire, ce n’est pas forcément une histoire avec plein de rebondissements, où on va découvrir un énorme secret, mais que c’est avant tout une histoire traversée par des personnages forts. C’est ce que j’ai essayé de faire en travaillant particulièrement la psychologie des personnages. Le personnage de l’inspecteur Leblanc est un peu ambigu, vu qu’il est à la fois très cartésien et superstitieux. C’est un peu antinomique: ça va d’ailleurs lui poser problème. Et puis, les personnages d’Anna et de Séraphine viennent un peu en opposition. Anna est un peu une aventurière qui voyage à l’autre bout du monde et Séraphine est toujours plongée dans ses lectures, vit un peu sa vie par procuration. Il y a cette confrontation et c’est ce qui m’intéressait. Tout l’aspect d’enquête policière autour, c’est presque secondaire pour moi et c’est plus une sorte d’écrin autour des thèmes que je voulais aborder: les personnages, la confrontation entre la réalité et la fiction, est-ce qu’on peut apprendre la vie dans des livres? Ne s’apprend-elle pas sur le terrain? A quoi ça sert de lire, d’être dans la fiction? Ce sont des thèmes très actuels qui sont transposés au début du 20ème siècle. Actuellement, on est en plein dedans, vu qu’on est cerné par la fiction. Le cinéma, les livres, la télé, internet,… A ces questions, je ne donne pas de réponse, j’avais juste envie de les soulever. C’était important pour moi, vu que dans mon travail je passe 90% de mon temps dans la fiction à mettre en place des histoires.

Et quels sont vos futurs projets?

Là, j’ai un nouvel album qui va sortir début juin qui s’intitule La belle image. C’est l’adaptation d’un roman de Marcel Aymé. Là, on change de contexte historique puisque ça se déroule dans une période plus proche de nous, dans les années 50. Et puis, je suis en train d’écrire le scénario de deux nouveaux projets: l’un qui se passe de nouveau dans les années 50 et un de nos jours. J’ai envie de parler de notre époque et pour l’instant, je l’ai fait un peu de manière déguisée.

Et quelles sont vos références?

J’ai de multiples références: en bande-dessinée, bien-sûr, mais aussi en histoire de l’art et en cinéma. Enfant, ce qui m’a donné envie de faire de la bande-dessinée, c’est la lecture de comics. Par la suite, c’est la découverte d’auteurs comme François Shuiten, Cardy ou Hugo Pratt. Après, au niveau de l’histoire de l’art, c’était assez marqué par l’art nouveau: Klimt, Mucha. Le cinéma était très important, non pas dans l’aspect graphique, mais plus dans la narration. J’aimais beaucoup les films de Billy Wilder qui sont pour la plus part des comédies. Dans Chambre obscure, il y a des petits côtés comiques dans le grand-père et aussi dans l’amoureux de Séraphine qui rôdait autour de la maison parce qu’il voulait la voir et qu’elle ne sortait jamais de chez elle. Quand il la rencontre, elle lui demande s’il comptait la demander en mariage et lui, il répond simplement « Oui« . C’est les petites choses comme ça qui font la comédie. C’est-à-dire que ce n’est pas de l’humour pur: on n’éclate pas de rire en se tapant les cuisses. Il y aussi d’autres cinéastes qui m’ont marqué: Truffaut, Frank Capra, Hitchcock.

Autoportrait © Cyril Bonin

Rencontre Thibault Richard (stg.)

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