Critique | Livres

Comme un frisson, une sorte de Blast féminin et indé

© Vide Cocagne
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

ROMAN GRAPHIQUE | Une jeune femme paumée plonge dans la violence et la marginalité pour se révéler à elle-même. Un récit radical d’une rare puissance.

Comme un frisson, d’Aniss El Hamouri, Éditions Vide Cocagne, 168 pages. ****

Est-ce que ça vous est déjà arrivé de sentir une vibration envahir votre boîte crânienne, « se concentrer et s’accentuer en broyant vos tempes d’une pression forte, si forte qu’il vous semblerait, un instant, ne plus être vous-même. Ne plus être porté que par vos pulsions comme si vous deveniez un animal »? Si oui, vous ressemblez peut-être à Renata, et ce n’est pas une bonne nouvelle. Car Renata ne va pas bien. Solitaire, craintive, coincée, Renata n’arrive ni à finir ce roman qu’elle tenait à écrire, ni à tenir tête à sa mère, ni à oublier cet imbécile de Gregg. Renata est à la masse. Quand soudain, parfois: « Mon cerveau crie. Il tinte. Comme si ma tête résonnait toute entière. Cette vibration se répercute et s’amplifie. Mes poils se hérissent. Je frissonne. Je pourrais sentir le danger. » Et malgré ce don -sentir le danger-, elle se fait, un soir, voler son ordinateur -sa vie!- par deux marginaux. Surtout, elle se décide à les suivre plutôt qu’à fuir. Et voit sa vie basculer.

Comme un frisson, une sorte de Blast féminin et indé

Ils sont deux: Corbeau, sec comme une trique, noir de peau (ou d’âme?), rouge de cheveu, et en colère sur tout, même sur les parcs de la ville -« ils enlèvent l’essence même de la nature à la nature. Putain. Mais la nature, c’est sauvage, c’est dangereux. C’est le désordre! » Et Beluga, tatoué, aux ordres et énorme -« Le corps? Une barrière qui nous sépare de l’infini. Tu dois forger cet enclos à ton image. » Avec eux, Renata va plonger dans la marginalité la plus crue: les squats, l’alcool, les invectives, la crasse, la violence, jusqu’au crime, jusqu’à la violence gratuite, « l’acte le plus subversif et honnête qui soit« . Un enfer, qui va pourtant être son étrange paradis: pour la première fois de sa vie, Renata va oublier d’avoir peur; « le têtard devient grenouille« .

Malaise et narration

Aniss El Hamouri tente, comme il l’explique sur son blog, de saisir dans ses bandes dessinées « un sentiment de sourd malaise social et identitaire (Youpi) ». Soit exactement ce que le lecteur ressent avec son premier « vrai » album sorti chez Vide Cocagne. Jusque-là, Aniss El Hamouri s’était fait la main sur des auto-productions et dans des collectifs de fanzineux tels que Phobia Presse ou Salade de frites, à Liège, là où il a fait ses études, d’abord à Saint-Luc, ensuite aux Beaux-Arts. On se souvient d’ailleurs personnellement de sa présentation de fin d’année, là où profs et membres du jury se disaient que « celui-là, il avait quelque chose« . On sait quoi désormais: Aniss El Hamouri déploie dans Comme un frisson un sens de la narration et du découpage aussi innovant qu’époustouflant, et surtout, totalement (comme sa stricte bichromie noire et rouge ou son trait tordu et « difficile ») au service de son récit, sorte de Blast féminin et indé. Un essai et coup de maître qu’il ne sera pas simple de confirmer.

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