Colum McCann, Irishman in New York

Colin McCann © Rich Gilligan
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Transatlantic marque le retour du romancier Colum McCann. Retour à l’écriture, à l’Irlande natale, et à une vision vertigineuse de l’histoire, dans tous les sens du terme.

A l’heure de notre rendez-vous dans le hall d’un hôtel parisien au printemps dernier, Colum McCann est en pleine conversation téléphonique avec l’autre côté de l’Atlantique -le Chicago Tribune, en l’occurrence. Situation schizophrénique: au moment où son dernier roman paraît aux Etats-Unis, l’homme est en promotion en France, où Transatlantic doit sortir quelques mois plus tard seulement, best-seller pressenti de la rentrée littéraire d’automne après le succès mondial de Et que le monde poursuive sa course folle (2009). Etre sur deux continents à la fois, l’idée va bien, à vrai dire, à un roman qui s’appelle Transatlantic, et que le New-Yorkais a conçu comme en suspension entre deux mondes.

Né dans la banlieue de Dublin en 1965, parti se réinventer en Amérique à l’âge de 21 ans avec pour tout bagage un sac à dos, une carte et un vélo, le journaliste et baroudeur McCann, désormais sédentarisé à Manhattan, avait envie de revenir à ses racines. « Pendant des années j’ai fait des livres sur des choses très lointaines. Dans Danseur, j’ai écrit la bio fantasmée de l’étoile russe Rudolf Noureïev, dans Zoli, j’ai parlé de la vie de gitans en Slovaquie… Mais dans le fond de ma tête, j’avais toujours cette idée de grand roman irlandais. Soudain, j’ai eu envie de réexplorer d’où je viens. J’ai su que j’étais prêt à rentrer à la maison -pas physiquement, mais émotionnellement… » Signe du retour, le roman commence en terres irlandaises -piste de décollage de l’avion, ancien bombardier bricolé, des Britanniques John Alcock et Arthur Whitten Brown, auteurs de la première traversée sans escale de l’Atlantique en 1919. Si l’épisode romanesque, formidable de puissance et d’élan, va puiser dans l’Histoire (comme c’est le cas pour les chapitres, un poil figés ceux-là, consacrés à Frederick Douglass, esclave noir en fuite et grande figure de l’abolitionnisme du XIXe siècle), le livre y entremêle de la fiction pure quand il met en scène quatre générations de femmes prises dans des allers-retours entre Ancien et Nouveau Monde.

Colum McCann, Irishman in New York
© Belfond

Ambitieux, Transatlantic est un invraisemblable écheveau d’époques et de personnages, où le détenteur du National Book Award file 150 ans d’Histoire irlando-américaine sur 500 pages avec un sens de la maîtrise et de la fluidité assez imparable. Authentique raconteur d’histoires, doté d’un vrai sens de l’entertainment romanesque, Colum McCann écrit pour l’aventure. « Je dis toujours qu’il faut écrire sur ce qu’on ne connaît pas. Je pense que si l’on écrit sur ce que l’on sait, on s’empêche de décoller, d’embrasser des mystères, de s’abandonner aux envolées de l’imagination. Pour moi, chaque roman, c’est comme de retourner à l’université. Pour Transatlantic, j’ai dû réengager toute mon idée de l’Histoire irlandaise. Mais aussi celle des Afro-Américains, de la guerre civile américaine, et du conflit nord-irlandais. Si je m’étais contenté de ce que je connais, je serais resté assis sur mon cul, et j’aurais écrit sur la vie dans l’Upper East Side new-yorkais… Or, pour moi, écrire, c’est débusquer un pays qui n’a pas encore été découvert. Avec le risque de faire naufrage ou de rester prisonnier d’une île déserte. Parce que par définition, vous n’êtes jamais sûr de le trouver… »

Descendre de son ruban

En termes d’exploration, il aura en fait aussi été question de fouille intérieure, de quête de sensations irlandaises originelles enfouies. « Je pense que c’est quelque chose que tous les immigrants peuvent ressentir. Dans une lettre à son ami peintre Frank Budgen, James Joyce dit: « J’ai été si longtemps loin de l’Irlande que je peux entendre sa voix constamment dans toute chose. » En partant vers l’Amérique, je sais que j’ai pris l’Irlande avec moi. » Le résultat est un portrait amoureux de l’Ile d’émeraude, un livre ancré, forcément enraciné, qui remue les brumes de l’Irlande, sa terre boueuse, son ciel changeant. Mais aussi une méditation plus intangible sur l’identité et l’Histoire, Transatlantic creusant toujours plus cette idée que le passé continue d’affecter les individus à travers les générations. Quels gestes pose-t-on en homme libre? Quels autres par prédestination ou héritage? « Chacun de nous n’est qu’une accumulation d’incidents insignifiants et d’évènements marquants, de grande et de petite histoire, d’illustres figures publiques et d’anonymes. La vie avance, et on ne fait que tourner autour, et revenir continuellement sur nous-mêmes. C’est le principe du ruban de Möbius. L’existence est une seule et même surface qui s’emmêle d’une manière impossible. En tant qu’artiste, ce qui est fascinant, c’est d’entrelacer différents rubans. Descendre de votre propre ruban, et sauter sur celui de quelqu’un autre. En descendre, et en choisir un autre encore… C’est un territoire palpitant. »

Au panthéon littéraire de Colum McCann, il n’y a -la chose n’est pas surprenante- que des exilés, forcés ou volontaires. James Joyce, Samuel Beckett, Salman Rushdie ou Michael Ondaatje, l’auteur du Patient anglais. Brouiller les cartes géographiques: une définition en soi de l’écriture pour l’Irlando-New-Yorkais. « Un soir que j’étais avec John Berger (écrivain anglais qui vit dans le sud de la France, ndlr) et où nous étions complètement saouls, je lui ai demandé: « John, d’où es-tu? » Il m’a répondu: « De Londres. » Et je lui ai dit: « Non, ça je sais, mais d’où es-tu, vraiment? » Il a laissé un long silence et il a dit: « Je suis un citoyen… non, je suis un patriote de l’Ailleurs. » C’est une phrase absolument magnifique, qui balaye tout concept de nationalisme. Être romancier, c’est exactement ça: dépendre d’un ailleurs, et y être complètement dévoué. Revendiquer l’imagination comme seul territoire, et appartenir aux histoires des autres… » L’écriture, ce mystérieux sacerdoce.

  • TRANSATLANTIC DE COLUM MCCANN, ÉDITIONS BELFOND, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR JEAN-LUC PININGRE, 500 PAGES.

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