Critique | Livres

Chronique livre: Ian McEwan – Opération Sweet Tooth

Ian McEwan © Joost Van Den Broek
Eric Swennen
Eric Swennen Journaliste livres

ROMAN | Avec une régularité de métronome, McEwan sort son 12e roman en 35 ans, à nouveau marqué par l’histoire contemporaine et l’amour de la littérature.

Chronique livre: Ian McEwan - Opération Sweet Tooth

Depuis toujours, l’oeuvre de l’Anglais Ian McEwan est dominée par un goût pour les vies ordinaires qui basculent. Comme chez ses contemporains William Boyd ou encore Jonathan Coe, nul besoin pour Ian McEwan de s’inventer des mondes parallèles, l’histoire politique et sociale de la culture anglo-saxonne regorge de suffisamment de filons pour alimenter ses intrigues implacables. S’il a souvent flirté avec le thriller psychologique (Un bonheur de rencontre) ou tâté du polar écologique (Solaire) doublé d’un fond de roman d’espionnage (L’innocent), McEwan a toujours pris soin de rester crédible tout en cultivant une vraie économie de moyens. Et si Opération Sweet Tooth s’inscrit bel et bien dans la lignée de ces prédécesseurs, jamais sans doute l’auteur ne s’était mis autant en scène que tout au long de cet exercice de style assumé. Le personnage principal a beau être une jeune fille, impossible d’être dupe: Opération Sweet Tooth transpire la personnalité de son auteur.

Bombes à idées

Comme lui, Serena Frome fête ses 20 ans à l’aube des années 70, période chahutée pour une jeunesse en pleine crise d’identité. Serena, à l’inverse de sa soeur Lucy qui cède aux sirènes du mouvement hippie, n’a que faire de l’esprit d’insurrection qui flotte dans l’air et ne souhaite pas « que l’on passe l’histoire au lance-flammes ». Brillante, Serena étudie les mathématiques à Cambridge mais c’est la passion des livres, ainsi que celle qui la lie à quelques hommes clés, qui va être le fil conducteur de son existence singulière. Serena dévore tout ce qui lui tombe sous la main avec la même fièvre: de Ian Fleming à Alexandre Soljenitsyne en passant par Jane Austen. La Guerre froide est sur toutes les lèvres quand elle commence à se passionner pour l’actualité internationale et ses avis tranchés sur le communisme publiés dans la gazette de l’université vont finalement l’amener à travailler pour le MI5, les célèbres services secrets britanniques. Très vite, elle est impliquée dans une opération -nom de code Sweet Tooth- visant à financer à leur insu de jeunes auteurs sans le sou pour mieux les influencer et contrôler au passage la culture de masse. L’agent Frome se retrouve donc à chapeauter le travail du prometteur Tom Haley, et fait l’erreur d’en tomber amoureuse… Autre facette de Ian Mc Ewan, Haley est dépeint par les pontes du MI5 comme un empêcheur de tourner en rond, lui et son amour pour la dystopie chère à J.G. Ballard. « Malheur à la nation dont la littérature est bousculée par les interventions du pouvoir », disait Soljenitsyne. Dans le genre, on est évidemment plus proche de 1984 que de Hunger Games -pour ce qu’on en sait, les aventures de Katniss Everdeen semblent plus rock & roll que les amours transis de la trop candide Serena Frome. Reste que ce véritable tour de passe-passe permet à McEwan de fantasmer une époque où les livres pouvaient encore agir comme des bombes à idées en lieu et place d’autres médias moins subtils ayant depuis largement pris le relais.

  • DE IAN MCEWAN, ÉDITIONS GALLIMARD, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR FRANCE CAMUS-PICHON, 437 PAGES.

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