Critique | Livres

Chronique BD: Annie Sullivan & Helen Keller

Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN GRAPHIQUE | Joseph Lambert. Retenez bien ce nom. Il ne serait pas étonnant que son album se retrouve quelque part dans le palmarès du prochain festival d’Angoulême.

Chronique BD: Annie Sullivan & Helen Keller

S’inspirant de faits réels, le jeune Américain y raconte la relation pour le moins atypique entre une petite fille aveugle et sourde et sa gouvernante, elle-même mal voyante, à une époque, la fin du XIXe siècle, qui ne brillait pas par sa tolérance. Ecrit comme ça, on pourrait légitimement redouter la grosse artillerie mélo et le déluge de bombes lacrymales. Un piège hollywoodien qu’évite soigneusement cet auteur indé, en misant sur un réalisme dégraissé qui, s’il butine ici et là les roses de l’émotion, se pique surtout aux épines de tempéraments bien trempés et d’un climat social, éducatif et politique ingrat.

Quand Annie Sullivan, 20 ans à peine et un passé chaotique derrière elle, débarque en Alabama, le pari est loin d’être gagné. Complètement enfermée sur elle-même, Helen Keller, six ans, vit recluse dans sa carapace privée de deux sens essentiels. Réduite à l’état quasi sauvage, elle ne communique pas avec l’extérieur et refuse tout contact physique, sauf avec ses parents, dépassés par les événements.

Avec persévérance et un sens pédagogique largement expérimental, Annie va pourtant réussir à établir le contact, première étape vers la discipline et l’apprentissage du langage des signes et de l’écriture, bravant pour cela l’hostilité initiale de la jeune fille, les réticences d’une famille ultra conservatrice, mais aussi ses propres démons, l’incendie de la colère qui couve en elle depuis l’enfance ne s’étant jamais vraiment éteint. Les souffrances de sa protégée, elle les connaît.

Une belle leçon d’humanité taillée dans un scénario épousant les oscillations de la psychologie et portée par une architecture graphique ingénieuse et immersive plaçant le lecteur dans la tête de Helen. On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, dit-on. Lambert est l’exception qui confirme brillamment la règle.

  • DE JOSEPH LAMBERT, COÉDITION ÇÀ ET LÀ ET CAMBOURAKIS, 96 PAGES.

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