Ceci n’est pas Magritte

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le duo Zabus et Campi s’empare des oeuvres du peintre pour le raconter dans une fiction qui lui ressemble. Mieux qu’une simple biographie.

Ceci n'est pas Magritte
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Quelle extravagance, ce Charles Singullier! Et quelle futilité de la part de cet homme discret, employé qui attend sa promotion depuis 20 ans: que lui est-il passé par la tête pour s’offrir -et porter!- ce chapeau melon, chiné sur le marché de la place du Jeu de Balle? L’esprit de Magritte, sans doute: à peine l’a-t-il posé sur son crâne que son reflet dans le miroir lui envoie l’image de son dos et qu’Arsène Lupin lui apparaît dans les morceaux de verre brisé -Arsène Lupin, un des marqueurs forts de l’oeuvre de Magritte, tel qu’il apparaît dans le fameux tableau Le Barbare et dans une célèbre photo qui ouvre aussi le musée à son nom, à Bruxelles: « Tu n’aurais pas dû mettre son chapeau! Maintenant, ça ne va plus s’arrêter… « , souffle Arsène à Charles. « Vous devez percer le mystère« , renchérit une autre créature subitement apparue, puisée elle aussi dans les tableaux de Magritte. Et Charles Singullier d’être emporté, et les lecteurs avec lui, dans une errance, plutôt un road-movie, surréaliste et onirique, à la fois dans les oeuvres et dans la vie du peintre pour tenter d’atteindre l’inaccessible étoile: percer le mystère des toiles de Magritte. Chose que le peintre lui-même s’est toujours refusé à faire de son vivant. Et qui aurait, sans doute, été amusé voire touché par cette biographie en BD, très réussie, mais qui se refuse à être vraiment biographique.

Pouvoir de narration

« L’idée m’a été soufflée par mon éditeur, assume d’emblée le scénariste Vincent Zabus, pourtant totalement habité, comme son dessinateur, par l’oeuvre de Magritte. On célèbrera bientôt les 50 ans de sa disparition (René Magritte est décédé le 15 août 1967 à Schaerbeek, NDLR) et on m’a demandé d’y réfléchir. Mais j’ai tout de suite su que je ne voulais pas d’une « simple » biographie, trop plate, surtout sur un tel artiste surréaliste. Il fallait trouver « autre chose », mélanger sa vie avec ma propre vision d’auteur sur lui. J’ai alors redécouvert l’incroyable pouvoir de narration de ses peintures. Chaque oeuvre de Magritte semble vous raconter une histoire, vous emporter dans un récit. Je n’ai eu alors qu’à me laisser emporter par les histoires que ses tableaux me suggéraient, en les reliant les unes aux autres et en jouant sur tout ce que l’on croit connaître, à raison ou à tort, sur Magritte et son oeuvre: les images récurrentes, la figure de Georgette, le goût du mystère, les chapeaux melons, les visages voilés, les clochettes… Et un ton, une petite musique, que Thomas (Campi, NDLR) devait s’approprier. Ceci n’est donc, effectivement, pas une biographie. »

La réussite de l’entreprise -s’appropriant, avec l’accord et les droits d’auteur qui vont avec, des oeuvres comme Le Viol, Seize Septembre ou les incontournables L’Empire des lumières et LaTrahison des Images- dépendait en effet beaucoup de son exécution graphique. Et c’est là que le miracle, ou le mystère, opère: l’Italien Thomas Campi, installé en Australie après avoir vécu en Chine, se réapproprie avec une étonnante aisance l’univers du peintre belge, comme s’il l’avait toujours côtoyé! Un univers pourtant très éloigné de ses premiers travaux italiens ou de ses précédentes collaborations avec Vincent Zabus, dont les remarqués Petites Gens ou Macaroni. Dépouillant ses dessins de leurs traits noirs, traitant le tout à l’ordinateur pour mieux lier matière et couleurs, Campi se révèle plus qu’à la hauteur de ce projet ambitieux, et ce sans s’être jamais mis la pression. « Je n’ai pas trouvé ça effrayant quand Vincent m’en a parlé, mais au contraire très excitant. J’ai toujours essayé de travailler dans le plaisir, et je me suis lancé très naturellement dans cette forme nouvelle pour moi, qui peut apparaître comme un mélange entre bande dessinée et peinture. Il y a chez Magritte une force d’évocation, des sensations, un feeling, qui dépassent les simples éléments représentés sur ses toiles. J’ai essayé de les exprimer comme je les ressentais. Et personne n’a jusqu’ici crié au scandale!« Que du contraire: le Musée Magritte Museum leur a lui-même largement ouvert ses portes au moment de la conception puis de la promotion du projet. Un exemple de plus dans le rapprochement chaque jour plus courant entre Beaux-Arts et bande dessinée.

Magritte – Ceci n’est pas une biographie, de Vincent Zabus et Thomas Campi, Éditions Le Lombard, 64 pages. ****

Beaux-Arts et BD

Si l’idée de Magritte, l’album, n’a pas été directement concrétisée sur les souhaits de Magritte, le Musée, il n’est plus rare que de prestigieux musées nationaux fassent appel à la bande dessinée pour attirer le grand public, ou en tout cas un autre que celui qui les fréquente habituellement: le Musée du Louvre a ainsi développé depuis quelques années un partenariat avec l’éditeur Futuropolis pour ouvrir ses couloirs et ses archives à de grands noms de la BD (Bilal, Davodeau, Taniguchi, Yslaire, De Crécy…), lesquels se réapproprient ensuite les lieux pour des one-shots très libres mais tout à sa gloire. Idem au Musée d’Orsay, qui avait déjà offert à Catherine Meurisse une « revisitation » de ses collections, et qui s’apprête à publier, pour ses 30 ans, un catalogue raisonné dirigé par les célèbres Plonk et Replonk, lesquels y détournent avec beaucoup d’humour chacune ou presque de ses oeuvres. Quant au Hubert de Ben Gijsemans, dont l’essentiel de l’intrigue se passe au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles, ses planches ont naturellement trouvé asile sur ses murs.

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