Critique | Livres

Le roi des mouches (T.3), délire chronique

© Glénat
Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

ROMAN | Mezzo et Pirus livrent la dernière pièce de leur puzzle hallucinogène. Une épopée borderline qui fait une fois de plus… mouche.

LE ROI DES MOUCHES (TOME 3) DE MEZZO ET PIRUS, ÉDITIONS GLÉNAT, 64 PAGES. ****

Les fans commençaient à désespérer de lire un jour la suite et la fin de cette saga hallucinée. Le deuxième tome était paru en 2008 sous l’étiquette L’origine du monde. Depuis, plus de nouvelles d’Eric Klein, de ses plans cul foireux, de ses mauvais trips, de ses états d’âmes frelatés, de son microcosme sociopathe. Mezzo et Pirus se faisaient prier, offrant juste un rafraîchissement en 2010 sous la forme d’un one shot polardeux et moite, Les désarmés.

L’attente est aujourd’hui récompensée. Mais avant de dégoupiller la pilule ornant une couverture toujours aussi classe et dépouillée, un conseil: relire d’abord les deux premiers volets de cet opus magnum sous acide. Sous peine de voyager en fond de cale et de passer à côté des paysages aussi elliptiques qu’addictifs de ce périple dans les coulisses de la normalité. Résumer l’intrigue de cette vaste geste psychédélique est aussi casse-gueule que de vouloir synthétiser en deux phrases l’univers de Lynch, pot de miel onirique dans lequel le tandem a d’ailleurs trempé un doigt et même un bras, en particulier Blue Velvet. Même violence souterraine, même climat asphyxiant, même décor en carton-pâte de suburb proprette rongée jusqu’au trognon par les névroses.

Sex, drugs and rock’n’roll

A un premier degré de lecture, disons que Le roi des mouches raconte l’existence d’un post-ado, Eric donc, trimballant son ennui et ses poussées hormonales dans une banlieue standard cumulant tous les clichés US du genre même si elle se situe en Europe. Obsédé par le sexe, cet ange blond sans boulot fixe passe d’une fille à l’autre, trompant les temps morts en coiffant son masque de mouche, en se goinfrant de pilules et en observant d’un peu trop près les moeurs du voisinage. Le tout sur fond de conflits intrafamiliaux. Du film de genre sous cellophane s’il n’y avait les autres strates. En particulier celle qui laboure en profondeur le champ du fantastique, convoquant aussi bien le spectre de Jarvis Cocker que les victimes collatérales de la quête sanglante d’une quille de bowling perdue dans la nature.

Ce maëlstrom libidineux est comme un mastic anxiogène de premier choix appliqué généreusement sur les fissures du conformisme. Le dispositif scénographique de ce ballet macabre ajoute encore au sentiment poisseux de malaise, l’histoire étant vue en alternance et en voix off par Eric et les autres protagonistes. Un procédé génial qui permet de se faufiler dans les cuves obscures de l’inconscient, là où se fomentent les délires psychopathes de Ringo ou les frustrations affectives de la mère de Marie. A la fin du deuxième tome, Eric s’était déjà cramé les ailes à force de jouer avec les allumettes, la parano prenant peu à peu le pouvoir dans sa tête d’insecte flippant.

La suite a le même goût piquant du Tabasco et butine les mêmes zones d’ombre de l’âme humaine. Sauf que tout s’accélère, sous l’effet conjugué des drogues dures et d’une partie de cache-cache qui vire à l’hallali. Dans ce ciel noir, le seul coin de lumière prend la forme d’une paternité non désirée dont Eric pourrait finalement s’accommoder. Cette messe déjantée n’atteindrait pas ces sommets d’intranquillité sans le graphisme vénéneux de Mezzo, ni les textes léchés par les flammes burroughsiennes de Pirus. Ces deux-là ont lu et relu Charles Burns (Black Hole, La ruche…), dont on retrouve ici les accents (ambiance fifties, goût pour les corps en décomposition…), l’emballage comics en plus. Instruments d’un destin aux intentions louches, les personnages plient sous le poids de leur déchéance. Avant de tomber comme des mouches. Vous avez dit culte?

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