Critique | Livres

Fuzz & Pluck (tomes 1 et 2)

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

FABLES ANIMALIÈRES | Fuzz, l’ourson couillon, et Pluck, le coq va-t-en-guerre, arpentent les routes piégeuses d’une Amérique désolée dans deux précieux albums du trop rare Ted Stearn.

De Ted Stearn, Éditions Cornélius, 104 et 248 pages. ***

Et si l’un des secrets les mieux gardés de la BD indie américaine de ces deux dernières décennies avait pour nom Ted Stearn? Animateur remarqué sur des épisodes de Beavis and Butt-head ou Futurama, notamment, le gaillard, auteur aussi lent que discret, a fait ses classes chez l’immense David Mazzucchelli, et plus précisément dans son culte et éphémère Rubber Blanket, magazine alternatif où, au sortir des années 80, Mazzucchelli opère une mue radicale, tournant le dos au monde des comics qui a fait sa gloire (Batman: Year One, avec Frank Miller) pour embrasser un univers résolument plus personnel et introspectif (Big Man puis, plus tard, Asterios Polyp). C’est là que naissent, au début des nineties, les personnages de Fuzz & Pluck. Il faudra toutefois attendre l’an 2000 pour que Cornélius publie le premier volume en français de leurs aventures, aujourd’hui réédité, quelque treize ans après, à l’occasion de la sortie d’un deuxième tome que l’on n’osait, à dire vrai, même plus espérer.

Nos (anti-)héros s’inscrivent dans la grande tradition burlesque chère à Laurel et Hardy ou Abbott et Costello, soit un tandem mal assorti luttant pour survivre dans un monde cruellement drôle, voire drôlement cruel. L’un -Fuzz, ours en peluche abandonné- est aussi couard et attentiste que l’autre -Pluck, coq déplumé en cavale- est orgueilleux et entreprenant. Les deux sont fauchés comme les blés. Ensemble, ils taillent la route en quête de nourriture, d’un job voire, on peut rêver, d’une bonne tranche de plaisir.

Arpentant les paysages désolés d’une Amérique pouilleuse et loufoque, aux relents totalitaires, où la bêtise pure côtoie la méchanceté gratuite et la déviance sexuelle, ils croisent le chemin de personnages improbables: un monstre végétal, un singe zen, un citron mutant… Tous élevés à l’école de la débrouille, ceux-ci buteront sur le pragmatisme et la philosophie très terre à terre de Pluck, gallinacé pas du genre à s’en laisser conter…

Coups de théâtre

Plus que dans son caractère allégorique finalement très répétitif, la force de la série, portée par un noir et blanc dense, fouillé, évoluant sur le fil entre inspiration cartoon et comics underground, réside dans sa capacité à se régénérer à coups de fulgurances graphiques, de rêves quasi psychédéliques et autres surgissements du fantastique au sein d’un éternel canevas reconduit peu ou prou à l’identique, de mésaventures crasses et de rencontres zarbis émaillant le grand chemin de la vie. Mieux, dans un deuxième tome plus accompli, la dimension picaresque de l’oeuvre est pratiquement évacuée au profit d’un saisissant petit théâtre de l’absurde: tandis que Fuzz est contraint d’empêcher le quidam de traverser un pont à l’état impeccable pour gagner sa croûte, Pluck se donne dans des joutes de gladiateurs aux règles surréalistes. Du pain et des jeux? On en est loin.

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