BD: Tyler Cross, pur polar

Tyler Cross © Brüno et Nury
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Rien ne résiste au dessin synthétique de Brüno, pas même le plus sombre des polars hard-boiled. Après Atar Gull, la paire qu’il forme avec Fabien Nury frappe à nouveau très fort.

BD: Tyler Cross, pur polar
© Dargaud

On reconnaît souvent un roman noir à la rapidité avec laquelle les emmerdes pleuvent sur la tête de son anti-héros. Il ne faut donc pas cinq planches à Brüno et Nury pour plonger leur gangster Tyler Cross dans les très gros ennuis: Cross, qui ferait baisser les yeux à Bogart et Eastwood réunis, est engagé par un mafieux italien pour monter un coup tordu, qui se tort vraiment: le voilà en cavale avec la Mafia aux trousses et 17 kilos d’héroïne sur le dos, et ce après avoir brûlé le corps de sa complice et compagne et lui avoir explosé une cartouche de chevrotine dans la bouche –« Pas de dents, pas d’empreintes, pas d’identification. Tant pis pour le romantisme ». Le voilà qui débarque à Black Rock, aux portes du désert texan, et dans le fief de la famille Pragg, les (méchants) tyrans du coin. Ajoutez une jeune mariée dans le tableau, et vous aurez le cocktail parfait pour un pur polar noir bourré de références, de cadavres et de passages obligés. Sauf que celui-ci, outre le fait d’avoir été remarquablement écrit et découpé par Fabien Nury, qui devient décidément un vrai label de qualité, est mis en scène autant qu’en dessin par le Nantais Brüno, dont le trait synthétique et si personnel n’en finit plus de faire merveille, et ce dans tous les genres, littéralement.

La SF avec Biotope, le récit historique avec Atar Gull, l’hommage au cinéma bis et aux séries Z avec Lorna… Brüno fait aujourd’hui l’unanimité, et s’impose, comme Bastien Vivès ou sa bande du Professeur Cyclope, comme le fer de lance d’une BD très générationnelle, capable d’enfin synthétiser les recherches graphiques de l’Association avec le pur plaisir de raconter de bonnes histoires. Il a en tout cas offert à Dargaud l’une des grosses réussites de sa rentrée BD, et une eau pétillante à votre serviteur, le temps d’un passage promo par Bruxelles. Un Brüno cool et souriant. Tout le contraire de Tyler Cross.

Vous aviez fait très fort avec Atar Gull, votre première collaboration avec Fabien Nury. Une fresque historique et littéraire, en Afrique, au début du XIXe siècle. Et on vous retrouve tous les deux dans un polar hard-boiled, typiquement américain, violent et très cinématographique. Etonnant, non?

Brüno
Brüno© Cécile Gabriel/Dargaud

C’est moi qui ai demandé à Fabien, pendant qu’on réalisait Atar Gull, s’il n’avait pas quelque chose d’autre dans ses cartons: notre collaboration était très positive, je voulais la poursuivre. Il n’avait rien à part un nom et une envie de gangster récurrent, dans une certaine tradition du roman noir. Moi, j’ai toujours eu le goût des « Revenge Movies » et des rednecks en pick-up! Et puis il a sorti des clichés, des photos promo de Humphrey Bogart pour le film High Sierra. Les années 50, le fusil à pompes dans les mains, l’allure, la dégaine… ça a fait tilt. Fabien m’a ensuite nourri de films de gangsters, des années 40, 50, du Faucon Maltais à Key Largo. On a parlé de Jim Thompson, de Donald Westlake. Il m’a même lu à haute voix des passages de Ellroy au téléphone! Après, ce fut un gros travail de narration et de… réglage symbolique.

De fait, on est de nouveau surpris: votre dessin, pourtant si particulier, presque minimaliste, s’adapte à tous les genres, c’en est presque écoeurant.

J’ai toujours aimé les récits de genre, avec beaucoup de second degré. Etre dans des codes très précis, ça peut être un super véhicule pour enrichir un panel narratif et être au service de l’histoire. Pour Tyler Cross, j’ai beaucoup cherché, je dévie un peu vers plus de réalisme, là où j’étais plus théâtral pour Atar Gull. Le boulot a aussi été énorme dans la narration, avec Fabien avec qui j’ai dû refaire à peu près 80 planches sur 90: la BD franco-belge fonctionne beaucoup sur des plans moyens, sans amorce. On a beaucoup travaillé tout ça, la spatialisation de la planche, les cadrages, les plans serrés…. La narration, c’est la base. Par contre je crois que je peux tout essayer, sauf l’humour, la planche à gag. Mon dessin est très synthétique, là où il faut à mon sens du mouvement, de l’élasticité.

Ça vous fait en tout cas un point commun de plus avec des gens comme Fabien Vehlmann ou Gwen de Bonneval, vos complices et associés dans l’aventure du Professeur Cyclope (magazine BD uniquement numérique): ce goût pour l’aventure, les « vraies » histoires et récits de fiction.

Oui, on adore ça, comme beaucoup d’auteurs de ma génération. S’il faut essayer de définir un genre ou un univers, nous avons tous des dessins très personnels, très expressionnistes: un acquis de l’Association, qui a montré que tout était possible. Et eux aussi ont connu ce retour à la BD d’aventures, que ce soit avec Blain ou Emmanuel Guibert, mais en gardant toujours une certaine distance, un goût pour l’intime. Nous, on y va peut-être plus à fond avec, de ce point de vue, un vrai premier degré. Le pur plaisir d’être au service d’une bonne histoire.

  • TYLER CROSS, DE BRÜNO ET FABIEN NURY, ÉDITIONS DARGAUD, 88 PAGES.

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