Critique | Livres

BD: L’invasion des comics modernes

À gauche: Outcast, à droite: Nowhere Men © Delcourt
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Y’a pas que Marvel dans la vie, ni dans le comics, fût-il contemporain et de divertissement. Le marché européen ouvre désormais grand ses portes à cette BD américaine ni tout à fait blockbuster ni complètement indé.

Vue d’Europe, la bande dessinée américaine n’est plus ce qu’elle était. Mais elle devient, enfin et en fait, ce qu’elle a toujours été. Autrement dit: il aura fallu des décennies d’édition pour que le comics tel qu’il existe sur le marché européen ressemble enfin à ce qu’il est vraiment dans son marché d’origine: une bande dessinée aux contours extrêmement larges, et finalement assez éloignés des deux extrêmes que l’on connaissait jusqu’ici en français dans le texte -soit du super-héros à la Marvel ou DC, fabriqué à la tonne, sous licences et extrêmement codé, soit de la BD indé, adulte et alternative à la Chris Ware ou Craig Thompson. Entre les deux, il y avait un monde, que les éditeurs francophones et en tout cas français osent désormais proposer sans attendre la patine de l’Histoire ou le boost des sorties ciné. La niche éditoriale des comics l’est ainsi de moins en moins -la BD US s’octroie désormais près de 10 % de parts de marché- et si des collections comme Urban Comics chez Dargaud se concentrent toujours sur l’édition « luxe » de classiques de DC, ces derniers auront été marqués par de nombreuses sorties « originales » et quasiment édités en même temps des deux côtés de l’Atlantique. Des BD de genre, de pur divertissement mais aussi de création et qui montrent à quel point la BD américaine vit aujourd’hui un nouveau souffle et de nouvelles tendances, elle-même nourries à l’international.

Nouvelles séries

Les éditeurs français Delcourt et Glénat (lire ci-dessous) se montrent particulièrement actifs dans le registre des comics, avec des collections déjà anciennes (Contrebande) ou au contraire toutes fraîches (Comics Glénat) qui leur sont vouées, et des sorties qui mériteraient de faire de l’ombre à d’autres. Ainsi le début prometteur de trois nouvelles séries chez Delcourt, Outcast, Nowhere Men et Nobody Owens, toutes très différentes mais qui renouvellent, chacune à sa manière, considérablement le(s) genre(s) dans leur forme et leur fond. S’il est toujours question de super- pouvoirs, thème qui reste l’alpha et l’oméga du comics de divertissement, ceux-ci se passent désormais de costumes en latex et prennent d’autres formes: scientifique dans Nowhere Men (récit de quatre grosses têtes qui paieront le prix du progrès, malgré leur devise affirmant que « la science est le nouveau rock’n’roll »), démoniaque dans Outcast (l’histoire de Kyle Barnes, exorciste malgré lui et tourmenté par des démons) et poétique dans Nobody Owens (petit garçon normal s’il ne vivait dans un cimetière élevé par des fantômes). Trois débuts de séries très prometteurs, très modernes dans le trait, le graphisme ou le découpage, et influencées par ce qui se fait, en Europe, au Japon ou ailleurs. Mais dans le même temps.

Nouvelles tendances

BD: L'invasion des comics modernes

Un « incubateur des nouvelles tendances du medium made in USA », avec l’objectif « de mettre en avant de nouvelles séries d’auteurs renommés, de révéler les talents de demain, de proposer des licences fortes de l’entertainment mais aussi des créations originales »: c’est ainsi que se présentait en avril dernier le faire-part de naissance de la nouvelle collection « Glénat Comics », déjà forte, deux mois plus tard, de six titres tous nouveaux, et effectivement révélateurs de cette « nouvelle » BD américaine, toujours branchée divertissement, mais originale dans la forme, elle-même enfin contemporaine. Ainsi Sex Criminals, de Matt Fraction et Chip Zdarsky, qui a entre autres reçu l’Eisner Awards 2014 de la meilleure nouvelle série, et qui est déjà en pré-production chez Universal TV: l’histoire cocasse, sexuelle et criminelle de Suzie et Jon, dont le super-pouvoir -on n’y échappera pas- consiste à arrêter le temps quand ils forniquent. Un don et des coïts qu’ils vont utiliser pour se lancer dans le braquage de banques. Si la série, comme tout ce qui paraît chez Glénat Comics et de manière générale aux Etats-Unis, ne déroge pas non plus à la règle d’une pré-publication US en revue et en épisode de 24 pages, chaque volume en français en regroupe cinq, additionnés de bonus qui vont cette fois plus loin que les habituels covers US ou hommages de collègues.

BD: L'invasion des comics modernes

D’autres titres de cette nouvelle collection prouvent dans le graphisme et le casting cette nouvelle ouverture d’esprit des comics contemporains, avec pas moins de quatre titres –Fast Furious, Pretty Deadly, Letter 44 ou le superbe Drifter– confiés cette fois à des dessinateurs européens, respectivement trois Espagnols et un Allemand, tous rompus à la BD sur ordinateur, l’animation ou le design graphique, et habitués à travailler des deux côtés de l’Atlantique. Une hybridation et une internationalisation des graphismes qui brouille considérablement les pistes et les a priori: si Drifter est ainsi une pure BD US de genre (ici, mélange de western et de SF, et épopée survivaliste dans une ville-fantôme de l’espace), le dessin de Nick Klein en appelle autant à Marvel qu’à Moebius, époque Métal Hurlant. Idem avec Alberto Jimenez Albuquerque, aka AJA, le dessinateur de Letter 44, mélange très ricain de 24 heures et d’Independence Day: avant de s’imposer dans le comics US, l’auteur madrilène a publié de nombreux albums en Europe, entre autres chez Paquet.

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