Laurent Raphaël

Pourquoi le hipster est la nouvelle tête à claques

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Mais pourquoi tant de haine? Le hipster, ce barbu tatoué qui fait flamber les prix de l’immobilier là où il dépose son sac en toile de jute, est la nouvelle tête à claques de la classe.

Sur Internet, dans les journaux, à la télé, il a droit à un traitement de défaveur systématique: on raille son look de bûcheron du dimanche, ses tics culturels, son opportunisme commercial, son ironie à toute épreuve. Tout chez lui agace comme s’il était le parasite numéro un du gazon social, devant les fraudeurs, les resquilleurs et au même niveau que les prédateurs sexuels. Cet acharnement, qui prend des airs de chasse aux sorcières sociologique, est-il justifié? Pour le savoir, il faut démonter les ressorts de ce hipster bashing. En commençant par dresser l’inventaire des griefs qui lui collent à la peau tatouée. On descend un latte préparé par un baristo moulé dans un T-shirt Mickey et on s’y met…

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Il est partout

Certes, le spécimen est envahissant. De New York à Paris en passant par Berlin ou Bruxelles, il colonise les quartiers en voie de paupérisation pour en faire des pôles urbains magnétiques à la gloire du bio, du bon vivre et de la coolitude. Enfant de la mondialisation, il exporte ses rites aux quatre coins du monde au gré de ses pérégrinations en terres inconnues. Donc oui, il participe à une forme d’uniformisation esthétique transfrontalière. Mais pas plus que McDo ou Coca-Cola. Et avec une créativité, un panache et des valeurs (débrouille, économie locale, recyclage…) qui assurent un minimum de diversité dans l’homogénéisation.

Il fait fuir le peuple

C’est l’argument préféré de ses détracteurs. Principal engrais du renouveau des friches industrielles périphériques et des zones urbaines dévastées (après l’est parisien, il s’attaque au bas de Pigalle, pardon à « South Pigalle »), le hipster est coupable d’accélérer la flambée des loyers, et avec elle l’exil des moins nantis. Difficile à nier. Mais il y a une certaine hypocrisie à reprocher à ceux qui embellissent les verrues urbaines de participer à la gentrification quand on -c’est-à-dire les politiques- les a laissées proliférer pendant des décennies. Les vrais coupables, ce sont les promoteurs qui attendent en embuscade. Car tôt ou tard, les hipsters, comme les artistes qui sont le premier maillon de la chaîne, seront contraints eux aussi d’aller voir ailleurs.

Il ironise sur tout

C’est un effet collatéral de son éducation. Biberonné à la culture geek, il prend avec une certaine distance les préceptes -le mariage, la hiérarchie…- qui se sont tous cassés la gueule sous ses yeux. Expert de l’image, il joue avec les symboles d’un monde qui en produit à la chaîne. Cette ironie, qui se traduit notamment par des T-shirts détournant les icônes de la pop culture, est une forme d’antidote à la morosité. Problème: l’autodérision et l’humour à haute dose, ça ne plaît pas à tout le monde. Ou plus à tout le monde. Passée à la moulinette des communautarismes, la liberté d’expression est de plus en plus sous pression.

Il est caricatural et contradictoire

Caricatural: vélo à pignon fixe, nonchalance étudiée, look vintage… Le hipster colle à son image. Mais n’est-ce pas le lot de toutes les tribus urbaines de revêtir un « uniforme »? Contradictoire: il est technophile et en même temps bio friendly, il est entrepreneur mais se shoote à l’idéal hippie, il affiche des attributs hyper virils et revendique une sensibilité féminine… C’est peut-être ce qui énerve le plus à la ronde. Plutôt que d’être torturé par ses contradictions, il en fait un étendard. En ce sens, il est bien le produit de son époque: il synthétise les propositions qui sont sur la table là où les autres s’accrochent jalousement à leurs petites traditions, quitte à regretter parfois -ce qui les rend encore plus aigris et sectaires- de ne pas être assis du côté fun et décomplexé de la force. Bref, si le hipster ne mérite pas plus que d’autres une médaille, rien ne justifie l’opprobre médiatique qui s’abat sur lui -sauf à considérer qu’il est cool de cracher sur ce qui est cool… Après tout, on a les avant-gardes qu’on mérite.

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