Serge Coosemans

Le Pan fait plouf et manque terriblement de poivre

Serge Coosemans Chroniqueur

Et si le Pan n’était pas un journal sulfureux et joyeusement piquant mais s’inscrivait au contraire dans cette tradition très bruxello-wallonne de la satire poujadiste par facilité et principalement destinée à rassurer le troisième âge? C’est la théorie de Serge Coosemans et cela n’a rien d’une vendetta personnelle. Calembours, pâtes de fruits et Fort Chabrol à l’encontre de 99% des comiques politiques bien de chez nous, c’est le Crash Test S02E28.

Le Pan fait plouf. Le magazine satirique dont Marcel Sel est désormais rédacteur en chef manque drôlement de poivre. Bourré de calembours bourrins, la feuille de choux pédale dans la choucroute… Je sais, comme entrée en matière, c’est lourd et ridicule mais ça n’en résume pas moins parfaitement l’affaire: le Pan nouveau n’est pas Charlie, certainement pas le Canard Enchaîné et encore moins Le Gorafi; influences pourtant revendiquées par son histrion de rédacteur en chef. Le Pan, en fait, reste le Pan, c’est-à-dire un canard dont la seule constante a toujours été de servir de bac à sable à des personnalités des médias et de la politique s’estimant bridées ou tenues à la réserve dans leurs fonctions officielles et pouvant donc chez Pan joyeusement et anonymement se lâcher dans la « fuite » orchestrée, la pique militante et le calembour de minimum 30 tonnes. « Nous vous devons la qualité autant que le rire », annonce pourtant Marcel Sel dans son premier édito de 2017 mais, justement, en 2017, peut-on encore vraiment espérer faire rire avec des titres comme « la commission Publifin braquée par la bande à Bonus » ou le « Pan est ravi au lit »? Est-ce vraiment raisonnable de lâcher « L’Ibère Natus » pour parler d’un ressortissant espagnol? De rapprocher l’enfarinement de François Fillon à sa volonté d’être blanchi dans les dossiers qui l’accablent? Ou encore, de laisser sous-entendre que lorsque l’on pense créer des Social Clubs pour consommateurs de cannabis, comme Georges-Louis Bouchez à Mons, on doit forcément soi-même drôlement fumer la moquette?

Certains verront là de l’humour de droite, moi j’y vois surtout de l’humour ringard, plus proche du consternant « présentement, dis donc » de Michel Leeb et de Darie Boutboul aux Grosses Têtes que des immortels San Antonio et Michel Audiard. Le Pan de 2017 se fantasme corrosif mais il est en réalité aussi acide qu’une pâte de fruits mâchonnée par une mémé au Théâtre des Galeries durant la revue de fin d’année et ce n’est que logique, vu qu’il vise en fait le même public: des vieux qui ne s’attendent pas à ce qu’on leur apprenne quoi que ce soit sur la politique d’aujourd’hui mais plutôt qu’on leur confirme ce qu’ils pensent depuis qu’ils ont commencé à lire le journal en diagonale, à savoir qu’au PS, on aime vraiment beaucoup dépenser l’argent des autres et qu’au MR, on est plein de bonne volonté mais souvent maladroit. C’est mon principal reproche à la satire politique telle qu’elle se pratique en Belgique francophone et là, je ne parle plus que du Pan, vu que je pense que cela s’applique aussi à pas mal de « comiques » politiques actifs à la RTBF et chez RTL: leur grille de lecture est dépassée mais comme leur coeur de cible, c’est de toute façon le troisième âge, personne ne moufte. Cet humour-là ne cherche pas à secouer, ni à expliquer quoi que ce soit du monde dans lequel on vit aujourd’hui. Il est médiocre, facile et dénué d’ambition. On va rire de la coiffure de Georges-Louis Bouchez et de sa proposition sur la ganja allant pourtant dans le sens de ce qui se fait de plus en plus ailleurs, car c’est beaucoup plus simple et compréhensible pour ceux nés avant 1950 que de leur faire encaisser un truc marrant sur les usines à trolls de Poutine, la Troisième Guerre Mondiale avant Noël, la chute de l’Union Européenne et trois des cinq premières puissances mondiales n’étant pas des dictatures devenues en un an à peu près ingouvernables.

C’est plus simple et c’est moins anxiogène. Ce qui me fait penser que la satire politique est en Belgique francophone souvent nulle parce qu’elle ne cherche en fait jamais à sortir du divertissement. C’est comme si on se contentait d’espérer du public un simple « c’est bien vrai ça » ou encore un « bien envoyé, celle-là, hohoho » plutôt que de mener à bien la mission essentielle des meilleures satires: brillamment déconstruire le discours ou l’action politique, faire rire mais aussi provoquer le malaise, la réflexion et éventuellement même la colère. À l’exercice, je vois aujourd’hui pas mal d’Anglais et d’Américains qui s’y montrent régulièrement brillants, y compris dans des talk-shows divertissants et beaucoup plus suivis que la RTBF, RTL et Pan réunis; comme quoi un bon audimat ne doit pas forcément sacrifier l’intelligence de propos. Même si les plus écoutés font eux aussi dans la panade, il reste également dans le domaine des Français régulièrement politiquement carnassiers et j’ai aussi le souvenir de satires jouissives et hilarantes du côté flamand de notre pays, notamment dans Humo et Mao, un gratuit aujourd’hui disparu et oublié. Côté francophone, en revanche, je ne vois que Kroll, personnage omniprésent et critiquable à bien des égards mais dont certains dessins et certaines sorties ont déjà tapé là où personne à Bruxelles et en Wallonie n’osait taper alors que c’était justement là et nulle part ailleurs qu’il fallait taper. Ne fut-ce que pour être simplement drôle.

Certes, ce n’est pas facile et certains un peu plus doués que d’autres s’y sont même cassé les dents, comme jadis ceux derrière cette version bruxello-wallonne avortée des Guignols de l’Info un moment lancée par Canal+ Belgique. C’est d’autant moins facile que la vision de l’humour, a fortiori politique, dans des structures aussi politisées que la RTBF et RTL, laisse peu de marge aux démarches potentiellement un peu plus délurées, voire subversives, que les blagues aux reflets verdâtres de Jérôme de Warzée, François Pirette et autres André Lamy. Dans un monde idéal et peu importe qu’il soit de droite ou de gauche, le magazine Pan devrait donc présenter un espace de liberté absolue, une vraie alternative à ce triste paysage médiatique drôlement bouché pour qui voudrait mener l’humour politique vers des territoires plus excitants, plus modernes et, surtout, plus ouverts sur le monde réel que repliés sur une vision « à la Clochemerle » de la politique. Mais tout chez Pan est donc archaïque et même la maquette n’a pas l’air d’avoir fort évolué depuis le Tergal. Vu les pedigrees respectifs du magazine, de son financier et du nouveau rédacteur en chef, ce n’est guère très étonnant mais ça n’en reste pas moins triste. On a vu dans l’histoire récente des satiristes mourir pour leurs idéaux et on va aussi voir dans un futur proche des lecteurs de magazines satiriques mourir d’ennui. Et toc. Bien envoyée, celle-là, hohoho.

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