Laurent Raphaël

L’édito: Trump ou le triomphe de l’indécence

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

« Jusqu’ici, Trump a passé son temps à insulter l’intelligence humaine. Mais sans conséquences concrètes. Maintenant qu’il est aux manettes, et s’il continue sur sa pathétique lancée, les Etats-Unis vont droit dans le mur. Et nous avec. »

Les Américains affectionnent visiblement les paris fous. Sauf si Trump met illico en cage son moi hargneux, raciste, sexiste, mytho, graveleux, l’homme le plus puissant du monde sera aussi le champion toutes catégories de la connerie et de la vulgarité. De quoi nourrir quelque inquiétude sur l’état de santé mentale d’une large frange de l’humanité. Car les Américains n’ont pas le monopole des dirigeants zozos. Des Philippines (le président Rodrigo Duterte, l’homme qui fait des doigts d’honneur et insulte Obama) à la Gambie (chaperonnée depuis 1994 par Yahya Jammeh, le marabout qui affirme soigner le sida avec des herbes) en passant par la Tchétchénie (dirigée par le sympathique Ramzan Kadyrov, version hardcore de Poutine), les peuples, même quand ils ont voix au chapitre, s’en remettent de plus en plus à des hurluberlus qui feraient passer le loup de Tex Avery pour un Jedi.

La preuve empirique qui manquait aux études proclamant le déclin de notre cerveau? En 2013, un article publié dans la revue Intelligence faisait grand bruit. En comparant le temps de réaction à un stimulus visuel, un des indicateurs de l’intelligence générale, des chercheurs ont calculé que nous aurions perdu 14 points de QI en moyenne depuis la fin du XIXe. D’autres scientifiques à première vue sérieux, comme ce professeur de Standford, Gérald Crabtee, vont même plus loin en affirmant que l’homme de Cro-Magnon, qui devait mobiliser toutes ses fonctions cognitives pour survivre, nous battrait à plate couture dans un bras de fer cérébral. La sédentarisation amorcée avec l’apparition de l’agriculture nous aurait ramolli le ciboulot. Difficile à croire quand même. Et encore plus à vérifier.

Par contre, l’hypothèse d’une régression sur une échelle de temps plus modeste ne semble pas… idiote du tout. Sans même s’appuyer sur ces travaux qui ne font pas l’unanimité dans la communauté scientifique, chacun peut intuitivement ressentir que la bêtise a le vent en poupe. Elle se cristallise notamment autour d’épiphénomènes qui insultent l’intelligence et occupent pourtant de plus en plus de place: nivellement par le bas des politiques -Churchill versus Cameron, Mitterrand versus Hollande-, dévitalisation du concept même de morale (symbolisée par Barroso retournant sa veste pour aller cachetonner chez l’ennemi), succès de la télé débilitante et dégradante (façon Hanouna), anoblissement de valeurs en toc véhiculées par les dieux du stade, égouts à ciel ouvert sur le Net… Autant de signaux qui montrent une prolifération du virus de la bêtise. « Les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnait« , clamait Audiard. Faute de garde-fous, ils ont monopolisé la parole, et bientôt le pouvoir. Trois millions d’années d' »évolution » pour en arriver là…

L’environnement (une alimentation qui nuirait au cerveau, les effets des pesticides) et la génétique (une altération de nos gènes) sont parfois invoqués pour expliquer cette dégénérescence, mais aussi et de manière plus convaincante la démographie et les progrès technologiques.

Idiocracy, le film satirique de Mike Judge, co-écrit par Etan Cohen et sorti en 2007, reprenait à son compte cette thèse que ceux qui ont un QI plus bas font plus de mouflets que les grosses têtes qui privilégient d’abord leur carrière et se posent des questions sur l’avenir. En vertu de la loi du nombre, après un certain temps, le niveau général s’effondre. De sorte que l’Américain moyen placé en hibernation pendant 500 ans dans cette comédie délirante se retrouve entouré de débiles profonds à son réveil.

Jusqu’ici, Trump a passu0026#xE9; son temps u0026#xE0; insulter l’intelligence humaine. Mais sans consu0026#xE9;quences concru0026#xE8;tes. S’il continue sur sa pathu0026#xE9;tique lancu0026#xE9;e, les Etats-Unis vont droit dans le mur.

Quant au facteur technologique, il repose sur l’idée qu’en faisant du Net une extension de son cerveau, l’être humain cède à son penchant naturel à la fainéantise. Qui ne s’est pas jeté sur Google pour trouver en deux clics le nom d’un réalisateur, d’un chanteur, d’un titre de livre qu’on avait pourtant sur le bout de la langue? Ici aussi, la science enfonce le clou. Avec une étude de 2011 menée à Harvard qui montre qu’un échantillon d’individus retient moins bien des informations s’il pense qu’elles sont enregistrées sur un ordinateur que le groupe privé de copion numérique.

Jusqu’ici, Trump a passé son temps à insulter l’intelligence humaine. Mais sans conséquences concrètes. Maintenant qu’il est aux manettes, et s’il continue sur sa pathétique lancée, les Etats-Unis vont droit dans le mur. Et nous avec. Il faut donc espérer une prise de conscience tardive à l’épreuve des faits. Même si on peut craindre que l’animal aura surtout contribué à désinhiber les demeurés, notamment en Europe, qui hésitaient encore à se faire recenser. « De toute façon, on est toujours le con de quelqu’un« , écrivait Carl Aderhold dans Mort aux cons en 2007. Maigre consolation…

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