Laurent Raphaël

L’édito: Ce que femme veut…

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Sous le microscope cette semaine: le retour aux avant-postes du féminisme. Sujet casse-gueule par excellence.

Quel que soit le bout par lequel on va le prendre, on sait qu’on va se ramasser des tomates de toutes les couleurs -point de vue trop masculin pour les uns, trop féminin pour les autres, opinion disqualifiée d’office parce que tenue par un « oppresseur », etc. Tant pis, faut que ça sorte. En précisant que ce qui suit n’est que le point de vue d’un homme blanc hétéro biberonné à l’égalité des sexes mais qui voit bien que la situation dérape dans la sphère publique et privée, et qui sent aussi par moments les forces du… mâle le travailler, au risque de déclencher chez lui un abcès de culpabilité accompagné d’un écoulement de questions pas toujours compatibles, du genre « Penser sporadiquement que les relations étaient plus simples à l’époque des grands-parents fait-il de moi un affreux macho? » ou encore « Quand je joue tous les rôles à la maison, ne suis-je pas au fond un gros fayot qui réprouve ses pulsions pour tenter de se faire pardonner des millénaires de phallocratie? »

Sous le microscope cette semaine: le retour aux avant-postes du fu0026#xE9;minisme. Sujet casse-gueule par excellence.

Alors qu’on pensait la hache de guerre enterrée, et l’harmonisation des genres sur les rails, on a vu à la fin des années 2000 se multiplier des actions coup de poing pour dénoncer les atteintes persistantes aux droits des femmes. Une petite surprise car à part les Chiennes de garde qui mordaient encore le mollet de la pub, dernier village gaulois résistant à tout traitement anti-sexiste, le féminisme idéologique s’était replié depuis un bail sur ses bastions universitaires. Du moins jusqu’à l’arrivée des Femen. L’effet de contamination de ce militantisme débridé et viral a été immédiat. Relayé par des artistes, des plus engagées comme Lena Dunham et sa série télé Girls aux plus mainstream comme Beyoncé, un nouveau discours féministe hybride -il ne crache pas sur l’exploitation du corps qu’il dénonce par ailleurs…- a imbibé la pop culture en quelques années à peine. Et même au-delà. Dans les magazines d’information, il est de bon ton désormais de traiter l’actu par le prisme féministe. Exemple avec le supplément M du Monde du week-end dernier. Glissés entre deux pubs pour des marques de luxe peuplées de femmes-objets, on pouvait lire des articles sur Les seins militants, sur le féminisme en entreprise ou un portrait de Rokhaya Diallo, nouvelle recrue de Hanouna qui se définit comme « féministe intersectorielle et décoloniale« . Pas de doute, le « Deuxième sexe » est dans l’air du temps. Il a ses propres collections littéraires (Sorcières, créée en 2005 dans le giron de Cambourakis par exemple), il a ses événements artistiques (The Future is Feminist à partir du 29 septembre au Beursschouwburg à Bruxelles), il a ses réseaux (comme Wowo, qui « rassemble plus de 30.000 femmes dynamiques, volontaires et entrepreneurs« ).

Ce déploiement, mélange d’opportunisme éditorial et de discrimination positive, vire parfois à l’inquisition. Quand le « quota » de femmes n’est pas atteint, ça flambe. On en a fait les frais il n’y a pas si longtemps à l’occasion d’une couverture dédiée à la nouvelle génération hip-hop belge. Les réseaux sociaux se sont agités pour se plaindre de l’absence de visages féminins. Oui mais voilà, comme on a tenté en vain de l’expliquer pour éteindre l’incendie, c’est le reflet fidèle de la scène actuelle. On peut déplorer son excès de testostérone mais nous fallait-il travestir la réalité, engager des figurantes, prendre des débutantes inconnues, pour se conformer à un idéal fantasmé? Rien de grave mais révélateur d’une certaine nervosité.

Plus inquiétant est la source de cet emballement. Cette quatrième vague féministe se nourrit en effet de la régression du statut symbolique de la femme, victime de la beaufitude ambiante, elle-même alimentée par le climat social tendu et la montée en puissance des rhétoriques conservatrices, qu’elles soient d’extrême droite ou d’inspiration islamiste. Mais plus largement aussi de l’incapacité chronique de la démocratie libérale à traduire dans les actes les belles promesses d’il y a 50 ans. Avec le risque à terme d’en arriver au divorce. Car de même que les Africains-Américains aux États-Unis optent pour un repli autour de leur base culturelle plutôt que de chercher en vain à se faire accepter d’égal à égal dans le monde blanc, les néo-féministes semblent opter pour une forme de cohabitation avec l’autre sexe, comme en témoigne le retour en force de la non-mixité dans les écoles et dans les clubs de sport. Égaux certes, mais plus sous le même toit…

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