Laurent Raphaël

Édito: Mauvais genre

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Si l’on chausse ses lunettes d’optimiste indécrottable, le sort des femmes est sur la bonne voie. Tout n’est pas réglé, loin s’en faut, mais les signes positifs d’une émancipation se multiplient.

Si l’on chausse ses lunettes d’optimiste indécrottable, le sort des femmes est sur la bonne voie. Tout n’est pas réglé, loin s’en faut (l’égalité des salaires et la représentation paritaire dans les hautes sphères sont toujours une pomme -d’Adam, forcément- de discorde), mais les signes positifs d’une émancipation se multiplient. Des femmes ultra populaires juxtaposent revendications féministes et glamour sans se faire traiter de vieilles pantoufles (Beyoncé, who else?), d’autres s’approprient une vulgarité qu’on pensait réservée aux mâles (Miley Cyrus), d’autres encore inséminent le principe d’égalité au coeur de leur vie sociale (pour faire court, les bobos). Preuve supplémentaire que le climat se détend, les femmes piquent les fringues de « leurs » hommes, mais surtout, la garde-robe des mecs se féminise également avec ses couleurs pétantes, ses imprimés fleuris et ses coupes amples. Bref, la guerre des sexes (si l’on considère qu’avant 1900 c’était une occupation d’un genre par l’autre) aura duré grosso modo le même temps que l’autre: 100 ans.

Ça c’est la vision Bisounours shooté aux pilules roses. La réalité derrière l’écran de fumée en forme d’hallucination collective éclairée à la bougie des Droits de l’homme est nettement moins enthousiasmante. Certes il y a des avancées, mais les mentalités peinent à changer au-delà d’un façadisme imposé sous la pression morale d’une minorité éclairée. Un peu comme le racisme qui s’exprimait sous le manteau avant que l’extrême droite ne banalise sa mixture idéologique. Rares sont ainsi les machistes qui avoueront ouvertement qu’ils sont favorables à un apartheid sexiste tout en le pratiquant activement à la maison. Tout le monde doit balayer devant sa porte. Le milieu culturel, d’où émane souvent un discours militant, n’est pas le mieux chaussé comme le révèle un rapport impitoyable de la SACD (un organisme qui défend les droits d’auteur en France) intitulé Où sont les femmes?: 10% de programmation féminine seulement pour le secteur musical, 20% pour le théâtre, 30% pour la danse, à peine 4% des chefs d’orchestre issus de la gent féminine, etc.

La femme est encore loin d’u0026#xEA;tre un Homme comme les autres pour peu qu’on creuse la surface polie.

La réalité (des chiffres notamment) est un témoin gênant. Et accablant. De partout affluent les signaux de détresse qui montrent que la femme est encore loin d’être un Homme comme les autres pour peu qu’on creuse la surface polie. Pire, on assiste même à une résurgence du sentiment macho qui s’exprime avec une nouvelle décomplexion. La faute à la faillite de l’éducation intra et extra-familiale, à une mauvaise lecture ou instrumentalisation des textes religieux aussi bien qu’à l’anonymat généreusement accordé par Internet qui, non seulement libère les bas instincts, mais en plus favorise la prolifération de réseaux autour de souches toxiques.

Tout le monde a entendu parler de la mésaventure d’Emma Watson, l’Hermione de Harry Potter, la semaine dernière à l’ONU. L’actrice est loin d’être une bimbo aguicheuse ou une Femen enragée. Look sage, parcours sans tapage, elle incarne une forme de modernité soft qui devrait rassurer les réacs sur les intentions pacifiques des nouvelles féministes. Et pourtant. Il n’a fallu que quelques heures pour que des effluves nauséabondes remontent des égouts du Web après des paroles très consensuelles -en apparence- sur l’égalité hommes-femmes dans le cadre d’une campagne invitant les hommes à se mobiliser. Appels haineux aux représailles, menaces de balancer des photos de la star nue, harcèlement en ligne et même menaces de mort… L’artillerie lourde de la bêtise humaine était de sortie pour « basher » l’ambassadrice de l’ONU, et à travers elle, une vision décloisonnée d’un monde plus juste et plus équilibré. Ni plus ni moins.

A la valse des chiffres qui défilent chaque année lors de la Journée internationale de la femme (viols, violences conjugales, etc.) s’ajoutent les témoignages d’artistes qui expriment par la bande le malaise actuel. Comme ces Crocodiles, une BD de Mathieu Thomas (Lombard) qui sortira le 28 octobre et qui met en scène toutes les formes de sexisme tapies dans les replis de l’ordinaire. Ou comme ce roman Poule D. de Yamina Benhamed Daho (Gallimard) qui ausculte le versant féminin d’un sport résolument ancré du côté masculin de la force: le foot.

Bref, ça va mieux et en même temps ça va moins bien. Comme si deux mondes cohabitaient sans plus cacher qu’ils s’éloignent l’un de l’autre. Au risque de renforcer les convictions phallocrates dans un « camp », la radicalité, ou pire le défaitisme, dans l’autre. « Je suis contre les femmes, tout contre. » Ce vieux misogyne de Sacha Guitry ne nous en voudra pas si on lui pique ce mot d’esprit pour tenter de retourner la situation et en appeler à un peu plus d’égards pour la moitié de la population mondiale. Et tant pis si demain des photos de moi nu circulent sur la Toile…

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