Critique théâtre: Empereur de l’impossible

Caligula, à l'Abbaye de Villers-la-Ville © Del Diffusion
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

L’empereur Caligula prend possession des ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville. Dans la mise en scène de Georges Lini, les mots de Camus sont du cousu main pour le comédien Itsik Elbaz.

C’était un choix plutôt risqué pour le traditionnel spectacle d’été à l’abbaye de Villers-la-Ville, comparé par exemple au divertissement bon enfant pour public familial que constituait Capitaine Fracasse l’an dernier. Dans Caligula, comme chez tout empereur romain qui se respecte, il y a du sexe et du sang. Et dans sa mise en scène, Georges Lini opte pour une esthétique contemporaine: pas de couronnes de laurier ou de glaives, la pièce d’Albert Camus se passe ici et maintenant, activant à nouveau l’actualité de ce personnage de tyran excessif et idéaliste.

Dans un décor de bois gris ménageant sur les côtés des loges ouvertes pour les acteurs, l’action se tisse autour de Caius Augustus Germanicus, surnommé Caligula, troisième empereur, succédant à Tibère et mort en l’an 41 après Jésus-Christ, à 28 ans seulement. « Cet empereur était parfait », déclare un des patriciens dans la première scène. Quand tout commence, Caligula a disparu, après la mort de sa soeur et amante Drusilla. Il revient de son errance assoiffé d’impossible, demandant la lune à son fidèle Hélicon, un esclave qu’il a affranchi. Dès lors, d’humiliations en meurtres arbitraires, édictant taxes et obligations, l’empereur va pousser son peuple à bout, pour lui faire comprendre que « ce monde est sans importance et qui le reconnaît conquiert sa liberté ». Jusqu’où faudra-t-il qu’il aille pour que se soulève la rébellion, c’est tout ce que la suite dira, dans un message à l’urgence sans cesse renouvelée de nos jours.

Pour incarner ce personnage historique à la fois détestable et attachant, il fallait un acteur d’une solide trempe. En costume et lunettes de soleil ou en t-shirt, sandales et ongles vernis, Itsik Elbaz relève le défi avec panache, enfilant naturellement les répliques à haute teneur philosophique de Camus, déclenchant les rires de ses outrances, posant les questions qui font mal et assurant le show en Vénus pour un intermède dans la nef et puis dans une reprise d’I Will Survive (dans un style plus proche de Cake que de Gloria Gaynor).

Autour de lui, huit comédiens (dont une femme, France Bastoen, dans le rôle de Caesonia, la « vieille maîtresse » de l’empereur) mènent une valse-hésitation entre hypocrisie motivée par la peur et franchise létale. Le tout porté par la musique live de François Sauveur, vraie rock-star, et par la danse parfois perturbatrice d’Hélène Perrot. « Je ne pense jamais, je suis bien trop intelligent pour ça », déclare Hélicon en boutade. Ce Caligula incite lui, décidément, à la réflexion.

Caligula: jusqu’au 11 août à l’abbaye de Villers-la-Ville, www.deldiffusion.be

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