Olivier Van Vaerenbergh

Tombé dans le Ch’tit panneau

Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Une polémique entre créateurs et amateurs de Photoshop a dégénéré sur les réseaux sociaux. Elle a surtout éclairé la nouvelle fracture sociale, désormais esthétique.

La polémique, hilarante pour le simple observateur, a démarré fin août. Un dessinateur de presse français remarque sur une page Facebook, dédiée à la création de petits panneaux Web, censément sympathiques, drôles ou émouvants, un de ses dessins, utilisé sans son autorisation, mais également modifié sur Photoshop et même… re-copyrighté au nom du site en question -« Ch’tit Panneaux ». La méthode, bien qu’interdite, est en réalité devenue monnaie courante sur le Net, et en particulier sur les réseaux sociaux: en quelques clics, toute image peut techniquement, mais pas légalement, devenir la vôtre. Et être « améliorée » au choix, avec moult étoiles qui scintillent, des petits chats mignons ou quelques perles philosophiques chopées au bar du coin… D’habitude, l’illustrateur signale la violation de propriété intellectuelle à l’indélicat, qui fait disparaître bien vite l’objet du litige. Sauf que cette fois, le ton est monté, et les communautés respectives -illustrateurs d’un côté, amateurs de Ch’tit Panneaux de l’autre- ont vite dérapé dans le règlement de comptes.

Une jolie photo de doigt d’honneur pour réponse chez les uns, un « floodage » en règle du site et de ses pages par les autres, accompagné de faux profils, de faux panneaux et de beaucoup de noms d’oiseaux. On en est aujourd’hui, après des milliers de commentaires et de pages dédiées, à des recours devant les tribunaux: les uns s’estimant diffamés et moralement harcelés, les autres spoliés de leur travail. Et pendant ce temps, la page Facebook de Ch’tit Panneaux a dépassé, on se pince, les 52.000 amis…

Précarité et indigence culturelle

Derrière les éclats de rire, volontaires ou non, l’affaire révèle en réalité trois vérités ancrées dans le monde 2.0 de l’illustration. D’abord, la totale méconnaissance du droit d’auteur, alors que le besoin de protection juridique n’a jamais été aussi pressant avec la démocratisation des techniques de l’image. Deuxièmement, la précarité des dessinateurs les rend désormais nerveux et parfois solidaires: partout pullulent des pages et des initiatives pour souligner leur ras-le-bol et leurs difficultés.

Enfin, et c’est peut-être le plus parlant ici: l’indigence culturelle et sociale est désormais, aussi, esthétique. Ch’tit Panneaux s’adresse selon ses propres dires « à des personnes âgées, rencontrant des difficultés avec l’orthographe, des personnes n’ayant pas eu la chance de faire des études, des personnes iléttrées (sic)« . Une moins-value socio-culturelle devenue esthétique. Et si l’on peut légitimement sourire devant les qualités graphiques d’un Ch’tit panneau, et désespérer de voir un tel public de masse plébisciter ce niveau zéro de la culture, il serait peut-être plus judicieux d’exiger des cours d’art visuel à l’école plutôt que de frôler le racisme anti-pauvres. Comme le disait Brigitte, fan de panneaux scintillants, dans un de ses commentaires enthousiastes: « Bisou et courage à vous! Ont vous adorrr! »

Quizz: Ch’tit ou pas ch’tit?

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