Philippe Cornet

Toiles d’étoiles

Philippe Cornet Journaliste musique

Bob Dylan expose ses acryliques à la prestigieuse National Gallery de Copenhague: une déjà vieille habitude de rocker se déconnectant du son pour embrasser le silence de la peinture…

Par Philippe CORNET

Disons que les peintures de Bob ont du chien. Pas le genre labrador ou caniche mouillé, plutôt bâtard de nuit ou guide d’aveugle. Un style perméable au foisonnement de couleurs à la Matisse ou à l’expressionnisme fugitif façon Van Gogh. Gueules gondolées, églises, meubles, policiers, paysans, c’est la toile selon Bob.

Concernant les circonstances ayant mené aux 40 tableaux de The Brazil Series, il déploie son habituelle loquacité: « J’aime le Brésil, son atmosphère… » Rajoutant qu’il a « toujours peint » et qu’il peut « se saisir d’un bol de fruits et le transformer en drame sur la vie et la mort (sic) ». Et non, il n’essaie pas de faire un commentaire « social », bien que la chose, toujours selon Dylan, « puisse provenir du monde folk qui m’a nourri ».

Rappelons qu’en 1970, l’oiseau peignait sa tronche en pochette du bien nommé Self Portrait, entre Soutine et les cubistes. On n’en saura pas beaucoup plus sur les intentions du barde nasillard sauf que pour cette seconde expo, il a à nouveau choisi une location décentrée: au lieu d’une (prestigieuse) galerie new-yorkaise, le voilà à Copenhague (1). Il y a trois ans, il exposait des gouaches et des aquarelles à Chemnitz, ville en déliquescence de l’ancienne RDA: Bob aime les chemins de traverse. Imaginons que cela fasse partie d’un processus où la peinture n’est pas seulement une rupture de ton et de son mais aussi de situation.

Repli sur soi

Loin de la foule, Captain Beefheart, artiste essentiel des années 60-70, quitte la musique (en 1982) et plonge au coeur du désert de Mojave pour des fresques primitives, réminiscentes des signes rupestres de la Grotte de Lascaux. Beefheart a le même âge que Dylan (69 ans) et on pourrait dire alors que la peinture n’est qu’un truc de sexagénaires andropausés à la recherche d’un abri pour sonotone rock. Ben non: la Californienne Brisa Roché (1974) réalise des visages marqués par la colère expressionniste, l’Anversois Rudy Trouvé (1967) multiplie les crayonnés presque fantastiques et Paul Simonon (1955), ex-bassiste de Clash (actuellement en tournée avec Gorillaz), ne cesse de mettre en scène gouachée son Londres natal.

Dans le tunnel d’informations électrocutées et la surenchère de gadgets (numériques ou pas) qui définissent notre époque, la peinture sonne comme un repli vers soi. Une toile-miroir qui débranche le gloutonnement frénétique 2010, là où le rock s’affiche comme dévorante prima donna gavée de YouTube et autres twitteries. La peinture, genre vieux de 32.000 ans (…), évoque presque un acte de résistance au tout consumériste. Et même si elle est faite pour montrer, elle est curieusement la dernière sur la liste des exhibitions. L’expression la plus éloignée du people: pas étonnant qu’un type comme Dylan, qui a cessé de déclarer sa flamme aux religions, y chante désormais publiquement ses psaumes personnels.

Bob Dylan, The Brazil Series, jusqu’au 30 janvier à Copenhague.
www.smk.dk/en/

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