Laurent Raphaël

Spin-offs, scènes de pillage

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Et si la « rétromania » chère à Simon Reynolds n’était finalement que la partie visible d’un continent plus vaste?

L’édito de Laurent Raphaël

Pour ceux qui auraient zappé l’année 2012, petit rappel des faits: le journaliste et théoricien britannique Simon Reynolds publie cette année-là un essai brillant qui attrape dans ses filets postmodernes tout le menu fretin culturel qui remonte en masse le courant chronologique depuis grosso modo le début des années 2000. De The Artist, film muet en noir et blanc, à Lana Del Rey, vamp tout droit sortie d’un rêve sixty, en passant par les Black Keys, néo-apôtres d’un rock mitonné dans la marmite blues, l’heure est au recyclage et au reformatage du glorieux passé. La machine à remonter le temps fonctionne à plein régime. Avec la nostalgie comme carburant et Internet comme showroom.

Deux ans plus tard, le constat tient toujours la route. Les artistes continuent à taper allègrement dans la caisse revival. American Bluff parodie le polar façon Scorsese, La Belle et la Bête tente en vain de réveiller le conte à coups d’effets spéciaux, le hip hop s’approvisionne toujours sur le marché des samples plus ou moins datés, plus ou moins improbables (comme Mos Def qui se réapproprie sans demander la permission une boucle d’un titre de 1975 de la chanteuse de folk psychédélique turque Selda Bagcan…), sans oublier toute la vague du rétrogaming qui nous replonge, migraines comprises, dans l’esthétique géométrique du 32 bits. Reynolds ne doit pas changer une ligne dans son bouquin, juste rajouter un chapitre pour incorporer les nouveaux convertis à cette idéologie dont la ligne pourrait être qualifiée de conservatrice progressiste. Et qui consiste, pour paraphraser cet oxymore, à faire du neuf avec du vieux. Même Beyoncé a été prise en flagrant délit de recel. Dans son dernier album sorti en décembre dernier à la surprise générale, le morceau Partition démarre avec une citation sur les bienfaits du sexe piquée à la version doublée en français (!) de Big Lebowski. La reine du cool qui cite le roi du cool. La boucle est bouclée…

Non contents de siphonner les joyaux du back catalogue, certains cru0026#xE9;ent des spin-offs de projets qui viennent u0026#xE0; peine de sortir de terre.

Pourquoi remettre le même disque aujourd’hui sur la platine? Parce qu’on observe dans le sillage de la comète rétromania de nouvelles pratiques qui lui sont associées mais poussent le curseur un cran plus loin. Certains ne se contentent plus de siphonner les joyaux du back catalogue, ils créent des spin-offs de projets qui viennent à peine de sortir de terre. Le temps d’incubation est ainsi réduit à peau de chagrin, le copier-personnaliser-coller instantané. Tout le monde suit? Un petit exemple pour dissiper le nuage de fumée: il y a quelques mois, Gravity nous emmenait dans l’espace pour un ballet immersif vertigineux. Gros succès public et critique. Quelques semaines après apparaît sur la Toile un court métrage de sept minutes signé Jonas Cuaron, coscénariste et fiston du réalisateur, dévoilant ce qui se passe sur Terre pendant une scène clé du film où le docteur Ryan Stone, perdue dans le cosmos, taille une bavette avec un pêcheur Inuit. Un prolongement inattendu qui se nourrit de l’oeuvre originale tout en l’amplifiant. Un peu comme l’anémone qui vit sur le dos, au sens propre et figuré, du bernard-l’hermite mais en échange le protège des prédateurs.

Décomplexés par l’accès illimité et souvent gratuit à la mémoire du monde, les digital natives ne voient plus le plagiat comme un délit ou une faute de goût. On serait libre de puiser dans la manne du moment qu’on apporte un surplus de créativité. Pharrell Williams balance un clip de 24h en mode lip dub pour son hymne mondial Happy. Le lendemain, les pastiches fleurissent dans tous les sens. Même trip opportuniste, le business en plus, pour ces applis qui détournent des ténors de la culture numérique à leur avantage. Comme Instapix qui propose de vendre vos plus belles photos prises avec Instagram.

Après avoir écumé le passé, on ratiboise le présent. Avec un peu de chance, on s’occupera bientôt du futur…

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