Laurent Raphaël

Place aux jeunes!

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Ceux qui sont allergiques aux enfants n’ont plus souvent l’occasion d’aller au cinéma ces temps-ci. Les réalisateurs se sont donné le mot pour caser des mômes dans tous leurs films.

L’édito de Laurent Raphaël

Ceux qui sont allergiques aux enfants n’ont plus souvent l’occasion d’aller au cinéma ces temps-ci. Les réalisateurs semblent en effet s’être donné le mot pour caser des mômes dans tous leurs films. Et pas juste pour faire de la figuration. Leurs frêles épaules (sup)portent bien souvent le fardeau des errements de leurs parents (cochez la mention inutile) absents, défaillants, décadents, oppressants. On peut classer ces frisées aux lardons en trois catégories.

La première regroupe des histoires d’adultes dans lesquelles la marmaille est très présente mais ne sort pas de son rôle conventionnel. Du passable Une vie meilleure de Cédric Kahn à l’indigeste Max de Stéphane Murat, les gosses servent ici le ressort dramatique ou font mijoter la comédie mais s’effacent derrière les problèmes des « grands ».

A un deuxième niveau, les kids brouillent un peu plus les cartes. Ils ne se contentent plus de faire tapisserie, ils interpellent les majeurs (mais pas vaccinés contre la connerie ou l’immaturité pour autant) à coups de comportements incongrus, entre volonté d’émancipation, débrouille et rébellion. La jeunesse est alors un miroir dans lequel les adultes se regardent, tantôt émus, tantôt effrayés. L’enfant d’en haut d’Ursula Meier ou Moonrise Kingdom de Wes Anderson jouaient déjà cette partition. Aujourd’hui, Wadjda (l’histoire d’une jeune Saoudienne effrontée rêvant d’avoir un vélo) ou Broken (le récit poignant du passage à l’adolescence d’une jeune fille dans une banlieue britannique) sont perchés sur la même branche instable avec vue plongeante sur le monde pas franchement joli joli des grandes personnes.

Un cran encore au-dessus, on trouve ces films dans lesquels l’enfance endosse le costume forcément trop grand de la force de l’âge. Soit que les gamins sont livrés à eux-mêmes et aux crocs de la ville comme dans Kinshasa Kids de Marc-Henri Wajnberg, soit qu’ils labourent le champ miné de la conscience et de la morale comme dans Lore de Cate Shortland, soit qu’ils embrassent le ciel et la terre comme dans le parabolique Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin. C’est souvent dans cette marmite fumante que l’urgence est la plus palpable. Et que le trouble affleure à grosses gouttes, tant par l’incongruité de voir des enfants dépouillés de leur innocence que dans la vérité d’un dénuement affectif subitement débarrassé des simagrées dont se repaissent les aînés. Le mètre-étalon de cette catégorie est Le ruban blanc de Michael Haneke, qui voyait des enfants se transformer en bourreaux sous le poids d’une éducation rigide comme un casque à pointe.

La nostalgie est-elle le seul moteur de cette poussée d’acné cinématographique? Bien sûr que non. Les réalisateurs retombent en enfance pour mieux nous ausculter nous les adultes. Ce cinéma-là nous met à l’épreuve de nous-mêmes, arrache nos masques pour révéler nos errements, nos turpitudes, nos failles. Les enfants, regardez ailleurs!

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