Laurent Raphaël

Mutatis mutandis

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Afterpop. Retenez ce mot, il va bientôt faire fureur. Si pas demain, après-demain. Et dès aujourd’hui même pour les lecteurs avisés de Focus. L’afterpop est à la sociologie du présent ce que la semelle compensée est à la saison automne-hiver 2011 dans la mode: sa clé de voûte, son mantra, sa nouvelle… pointure. « C’est l’après-culture de masse », explique dans les Inrocks Juan Francisco Ferré, écrivain espagnol adepte d’une littérature furieuse et boulimique qui convie à la même table Philip K. Dick et… Sam Peckinpah (à goûter, hot & spicy, dans Providence, son premier roman traduit en français au Passage du Nord-Ouest).

Ferré et ses petits camarades énervés de la péninsule ibérique, qui comme lui ont lâché la bride esthétique et rompu les amarres formelles comme pour mieux coller au désenchantement organique du monde (son campus novel trash est ainsi jalonné de « prises » et non de chapitres, en référence au cinéma qui contamine cette prose mutante), se revendiquent de cette ascendance afterpop. Un courant alternatif qui a déjà son manifeste, Homo sampler, qui sort ces jours-ci dans la collection -tiens, tiens- Afterpop des éditions Inculte. L’essayiste espagnol Eloy Fernandez Porta y torpille le navire amiral pop, vaisseau fantôme vidé de sa substance sulfureuse à force d’avoir été pillé à gauche comme à droite depuis les années 50.

Il y a bien eu quelques tentatives de réveiller le cadavre, comme le grunge, mais aujourd’hui la bête est morte. Et enterrée. Il est donc temps d’enfourcher une nouvelle monture plus adaptée au relief. En l’occurrence un pur-sang sous amphétamines. Dans la boîte à outils conceptuelle, on rangera la scie afterpop entre la clé anglaise post-moderniste et le sécateur transgenre. On en voit déjà se pincer le nez comme Bart de Wever devant la note Di Rupo. Encore un truc fumeux inventé par un intello new-yorkais, ex-punk de préférence, en mal de gazouillis médiatique? Raté. Ce n’est pas une hirondelle désenchantée qui fait le printemps débridé, mais des dizaines.

Des noms? Le regard froid de Houellebecq sur la misère sexuelle ambiante dans Les particules élémentaires? Afterpop. Björk qui se métamorphose corps et âme à chaque album? Afterpop. Britney Spears, pas la star mais la coupable d’abus de pop culture dans le box des accusés de Jean Rolin? Afterpop encore. Les babyboomers ont sorti du purgatoire les arts mineurs et même les arts ménagers -merci Warhol- pour les exposer au salon. La génération afterpop va plus loin. Sous l’effet euphorisant et vitrifiant du Net, elle désacralise la haute culture. Exit les distinctions de classe, de genre. Dans ce grand chaudron créatif, Freud est sur le même pied que les Simpson. Proust Fiction, de Robert Juan Cantavella, déboulonne avec humour et ironie des figures hier intouchables. On flirte avec le nihilisme sauf qu’il n’est pas politique, il est esthétique. L’art s’épanouit dans la tourmente. Et aide à y survivre…

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