Laurent Raphaël

Le meilleur du pire

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’édito de Laurent Raphaël

Chaque semaine, c’est le coup de massue, la caresse au gant de crin, le coup de pied dans les valseuses. Même pas besoin de consulter l’horoscope des meilleures ventes pour s’inoculer la migraine en version flash, les communiqués triomphalistes des maisons de disques et des professionnels de l’emballage médiatique ont déjà craché le morceau: les Thor-boyaux (avec jeu de mot) cinématographiques, les soupes tièdes musicales et les plus imbuvables breuvages littéraires ont encore cachetonné au box-office. La semaine dernière a été un grand cru dans le genre.

Alors que la critique déroule le tapis rouge à des Norwegian Wood (Tran Anh Hung), des Pina (Wim Wenders) ou des Tomboy (Céline Sciamma), tous perchés haut sur le mât des frissons, le public court s’empaler sur le glaive baveux du dieu du tonnerre (Thor donc) à qui il manque, entre autres choses, un… éclair de génie. De même, alors que le speed dating musical permanent du Net bruisse de bons coups (Odd Future, Fleet Foxes, Miles Kane…), le public s’envoie paresseusement en l’air avec des chansons en toc à faire regretter l’abstinence (on n’a rien contre Rihanna, Jessie J ou Britney Spears qui cannibalisent l’ultratop, mais on n’a rien pour non plus…). De même encore, alors que de beaux fruits charnus poussent en toute saison sur l’arbre romanesque (John Banville, Richard Powers, Stanley Elkin ou John le Carré rien pour la dernière récolte), le public préfère s’empiffrer de prose compote semi-industrielle labellisée Levy ou Musso (respectivement 1er et 2e du classement de Livres Hebdo).

Les voies des petits et grands plaisirs sont décidément impénétrables. Ou bien la presse et ses clones virtuels se prennent les pieds dans le tapis de leurs doux rêves, comme un professeur de physique qui s’entêterait à sensibiliser ses élèves de première secondaire à la beauté de la théorie des cordes. Ou bien une grosse partie de la population est aveugle, sourde mais pas muette puisqu’elle ne se fait pas prier pour entretenir la chaîne du désespoir culturel.

On voit déjà fuser, gros comme une vanne sauce andalouse dans Rien à déclarer, le reproche habituel: les choix des journalistes sont trop élitistes, souvent déprimants, toujours prises de tête. Faux procès. Dans les bonnes maisons, le menu est varié et garanti sans conservateurs idéologiques. Non, ce qui pousse les masses à se payer une grosse tranche bien grasse de Fast and Furious (45.000 entrées en Belgique le premier jour de sa sortie) est forcément freudien. Une sorte de plaisir régressif et masochiste qui nous tire vers le bas.

Après tout, pour l’estomac, c’est pareil. Vingt ans de mise en garde des diététiciens, des documentaires chocs à la pelle (souvenez-vous de Super size me) et d’alternatives autrement appétissantes (slow food, bio…) n’ont pas altéré la capacité de l’Occident à s’automutiler les papilles dans les fast-foods. Il faut se faire une raison, sans pour autant relâcher l’effort d’échapper à la meute: l’homme est un loup pour l’homme…

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