Philippe Cornet

Faits divers

Philippe Cornet Journaliste musique

La mort d’Amy, les lubies de Morrissey ou de Lauryn Hill, les chichis des Gallagher: bienvenue dans le gossip permanent qui confirme la banalisation ultime de la culture rock. Suffit de lire le NME anglais.

La chronique de Philippe Cornet

John de Ghinzu est-il marié à une fille de riche? Conduit-il une Porsche? Daan est-il accro à la coke? Depuis quand? Et d’ailleurs quel est le nom de sa nouvelle copine qui a 15 ans de moins que lui? Que sait-on de la cure de désintox du bassiste de dEUS? Arno place-t-il son argent dans l’immobilier à Bruxelles plus qu’à Ostende? Est-il aussi radin qu’on le dit? Vous ne lirez pas ce genre de suppositions – assurément fictionnelles – dans Focus ni dans (pratiquement) aucune des rubriques musicales de ce pays. Par contre, le pétard-potin plus ou moins mouillé fait croustiller les colonnes de la presse musicale anglo-saxonne, particulièrement celles du New Musical Express. En juillet/août, son Top 10 des rumeurs gossip comprend les propos idiots de Morrissey – « Mac Do fait plus de mal que le tueur norvégien » -, s’étend aux pronostics de Lauryn Hill – « Rohan Marley n’est pas le père de mon sixième enfant » – ou, plus classe encore, Enrique Iglesias avouant qu’il possède le « plus petit pénis au monde ». Le NME précisant aussitôt que la dite déclaration du bellâtre hispanique est dûe à un mélange « d’alcool et d’antibiotiques ». Ce qui confirmerait la dangerosité de ces derniers pour la santé, en tout cas mentale.

Poubelles starisées

Pour comprendre cette orientation qui fait du NME un improbable mélange d’Inrocks et de tabloïds à la (feu) News Of The World, il faut tenir compte de l’histoire de l’hebdo et de l’avènement du Web. Ayant grandi avec l’essor planétaire de la pop anglaise – des Beatles à Led Zep -, le NME connaît, début des années 70, un gros coup de mou commercial. L’embauche de Nick Kent et de Charles Shaar Murray, partisans d’un journalisme gonzo, émoustille un nouveau lectorat et fait grimper les ventes à 300 000 exemplaires par semaine en 1973! Au fil des décennies, cette manière live de raconter le rock va être dopée par quelques sujets naturellement borderline entre éclats musicaux et rubrique people: depuis plusieurs années, Pete Doherty et Amy Winehouse sont les 5 étoiles d’un curieux hôtel où l’on range à la fois la critique rock et les fonds des poubelles plus ou moins starisées. Alors que les ventes papier s’amenuisent – 72 000 exemplaires en 2003 pour 33 000 en 2010 -, le NME joue dès 1996 la carte du Web, construisant un véritable magazine on line qui attire désormais plus de 5 millions de visiteurs mensuels. D’où cette politique de relayer procès, overdoses, morts suspectes, déclarations cons, provocs ados, sexe, drogues et peut-être même un peu de rock’n’roll, sans états d’âme. Aujourd’hui, après avoir laissé des semaines de paroles à Liam Gallagher sur la fin d’Oasis, c’est au tour du frère Noel de donner sa version de la déconfiture. Au jour le jour. Le NME bourlingue dans le feuilleton rock scandaleux: bien pour les statistiques et la pub, un peu moins pour la musique.

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