Laurent Hoebrechts

De l’art de faire de la musique pop

Laurent Hoebrechts Journaliste musique

En même temps que son dernier album, Gonzales a tourné un film avec ses camarades Tiga et Peaches. Une « comédie sportive existentialiste ». Euh, mais encore?

Par Laurent HOEBRECHTS

Non, on ne va pas à nouveau vous parler des dernières gesticulations de ce bon vieux Kanye (West, toujours plus à l’West). On pourrait cela dit: y a matière à décoder dans les 35 (!) minutes de Runaway, dernier clip en date du rappeur.

Mais non. Cette semaine, on zappe, on balaie. Que dis-je? « On dynamite , on disperse, on ventile! » Tiens, on nous signale que le dernier clip de Cali, l’Amour fou, a atteint le million de vues. Facile: le Jim Kerr du sud-ouest a enfilé une série de caméras cachées réalisées par Rémi « c’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui » Gaillard. Cali prenant un malin plaisir à se faire prendre lui-même au « piège ». OK, tout cela a dû à peine coûter le budget de deux secondes du clip-fleuve de l’ami West. Mais le résultat est là. Rien de tel pour buzzer que de s’appuyer sur un buzz déjà existant.

Marcel léopard

Il y a Gonzales aussi. Autre catégorie. Le Canadien exilé en France vient de sortir l’album Ivory Tower, accompagné d’un film du même nom. A moins que cela ne soit l’inverse? Toujours est-il que le moyen métrage a été présenté à Deauville et projeté récemment à Bruxelles par le Beursschouwburg. Ivory Tower, c’est Abel et Cain, version Kasparov contre Karpov. L’histoire d’une rivalité entre Hershell Graves (Gonzales), ancien maître des échecs, et son petit frère Thadeus (Tiga). Ce dernier a profité de la retraite anticipée de son aîné pour reprendre la couronne de champion. Et, dans la foulée, mettre la main sur sa fiancée, Marsha Thirteen (Peaches).

Le résultat est décalé (Tiga, DJ superstar en marcel léopard), assez rafraîchissant, et (plutôt) drôle. Anecdotique certes, mais incluant assez de vedettes plus ou moins underground (Feist, Mocky…), de fulgurances (« chess, we can ») et d’humour deadpan que pour accéder au statut d’OFNI (objet filmique non identifié) générant son petit culte.

Il y a un single, un vrai, dans Ivory Tower, le disque: I Am Europe. Le morceau n’est pas qu’une litanie surréaliste. Il illustre aussi très bien le propos d’Ivory Tower, le film. Ancien champion, Graves veut mettre au point un jeu d’échecs sans vainqueur ni perdant. Soit l’idée européenne même, celle de la première superpuissance pacifique de l’Histoire. « L’ambition est une maladie mentale », clame Graves, qui rêve d’un jeu qui soit plus expression que compétition: il le nomme même jazz chess, « chess you express ».

Amusant de la part de Gonzales, qui s’échinait encore en 2009 à battre le record du plus long solo de piano du monde (27 heures non-stop derrière son clavier, foi de Guinness Book). En fait, le bonhomme adore cultiver l’ambiguïté: ce n’est pas pour rien qu’il se fait appeler l' »entertainist ». L’amuseur et l’artiste, en un seul et même personnage. Le gimmick marketing et l’inspiration dans un seul et même élan. Faire un album pop mais y mettre du panache, en l’accompagnant par exemple d’un film.

Gonzales a peut-être bien tout compris: de Kanye West à Cali, l’important aujourd’hui n’est peut-être plus tellement dans le fait d’apporter quoi que ce soit de neuf. Mais bien dans la manière de l’amener. Avec cet éternel défi: comment convaincre sans se compromettre? La pop est un Vieux Continent, qui se cherche de nouvelles tactiques de séduction. I am Europe.

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