Cléopâtre : une image révélatrice de la condition féminine à travers l’histoire

L'actrice Theda Bara, interprétant Cléopâtre au cinéma en 1917 © ISOPIX
Stagiaire Le Vif

Dans le cadre du Salon du Mont des Arts, du 21 au 23 juin, l’archéologue et historien de l’art, François de Callatay, revient sur l’usage ou plutôt les mésusages de l’image de Cléopâtre au fil de l’histoire. Une mise en perspective qui montre que l’image de la dernière reine d’Égypte a toujours été altérée par les préjugés des hommes.

 »Ah que ne l’eut-elle eu plus long, plus court, plus mignon ! La face du monde en eût été changée’‘, disait Blaise Pascal à propos du nez de Cléopâtre. Ce qui a vraiment changé, c’est son image dans l’imaginaire collectif. Fatale ou frivole, diva ou divine, sorcière ou femme forte, ses milles images, toujours sexuées à outrance, et égyptianisées, sont révélatrice de nos sociétés et en expriment les enjeux.

Aujourd’hui, l’image de Cléopâtre, icône planétaire, est encore fortement répandue. Mais ce qui la fait naitre, c’est précisément sa mort. Car, celui qui a construit Cléopâtre, telle qu’on la connait, c’est Plutarque, philosophe de la Rome antique. En narrant le suicide de Cléopâtre dans ses écrits, sans nul souci pour la réalité historique, il a créé et scellé son mythe pour des milliers d’années.

Mais que sait-on réellement à propos de Cléopâtre? Descendante d’une dynastie gréco-hellénistique, elle nait en 69 avant notre ère et meurt en 30 avant notre ère. Elle n’est pas l’ainée de la famille, mais elle va éliminer ses quatre frères et soeurs pour monter sur le trône, à 19 ans seulement. Son règne est difficile, car elle devra faire face à des famines et des disettes. Mais ce qui fera sa réputation, ce sont ses relations amoureuses avec Marc Antoine et Jules César, des généraux romains.

 »En matière d’histoire culturelle, Cléopâtre est le sujet le plus intéressant, car elle représente un concentré de préjugés », explique François de Callatay,  » c’est une femme de pouvoir et une étrangère. C’est parce qu’elle vient d’Afrique que l’on va écrire à son sujet qu’elle n’était pas capable de faire preuve de raison et qu’elle était insatiable avec les hommes. Ensuite, les écrivains lui ont prêté une beauté extraordinaire. Ce n’était pas le cas en réalité. Pour sa représentation, on a les bronzes frappés à Alexandrie. Ella a toujours cette coiffure dite en « melon », un large diadème plat et un nez un peu allongé. Elle ne répond pas forcément à nos canons actuels de beauté. »

Dans ce cas, comment peut-on expliquer qu’elle ait conquis les hommes les plus puissants de l’époque ? « À Rome, la condition de la femme était très inférieure de celle d’Égypte. Ensuite, Alexandrie fut le berceau de la culture. Cléopâtre devait être irrésistible en société, car elle était cultivée. Jules César a dû été surpris. »

Une vision de la femme essentiellement masculine

Le mythe de Cléopâtre, s’il a été créé par un homme, n’a pas beaucoup évolué vers une nouvelle vision, plus féministe.  »Les premiers préjugés ont été racistes et sexistes. Aujourd’hui, pour représenter Cléopâtre, il faut une belle femme très sexuée. Cela commence en 1506, lorsque l’on va redécouvrir une sculpture représentant une Ariane endormie avec un serpent autour du poignet. C’est à partir de ce moment que surgissent les représentations baroques avec des thèmes comme l’extase. On va associer le serpent à Cléopâtre et elle deviendra Ève la pécheresse. Mais le summum de la vision masculine se concrétise dans une sculpture :  »la nature dévoile la science ». On voit une femme qui dévoile son visage. On s’imagine bien, qu’en face, c’est un homme qui représente la science. Pour les Gender Studies, cette sculpture condense tous les préjugés sexistes de l’époque.

Mais ce qui a le plus noirci l’image de Cléopâtre, c’est le 19e siècle colonialiste et le triomphe de la bourgeoisie. « Au 19e siècle arrive l’exotisme dû à la découverte de l’Égypte. C’est d’ailleurs le préjudice historique sur lequel on ne pourra jamais revenir. Ensuite il y a l’érotisme. Mais c’est surtout le siècle du sadisme et de la cruauté. C’est le moment où apparait l’image de la femme maléfique et ensorceleuse. On va dire que Cléopâtre se prostituait et tuait ses amants. »

Cléopâtre à l’âge des mass-médias

Une série d’actrices ont porté Cléopâtre au théâtre et au cinéma. Coiffées de la même perruque noire, fardée du même maquillage et accompagnées de serpents et de félins dans des décors égypto-maniaques, elles se situaient toutes bien loin de la réalité.

Les films sont nombreux et débutent avec Georges Méliès et sa Cléopâtre qui ressuscitent d’entre les morts. En 1913, une Cléopâtre italienne met en exergue la politique de l’époque en adoptant un comportement totalement soumis. Mais ce qui a marqué les esprits reste sans conteste l’actrice Theda Bara. Surnommée « la vamp », elle a fixé l’image de Cléopâtre au cinéma. Toutes ces représentations, si elles ne répondent pas à la réalité historique, nous ouvrent les yeux sur des réalités sociologiques.  » L’image de Cléopâtre, c’est celle d’une femme hypersensualisée, solitaire, dominante, puissante, et dominatrice. Ça traduit une vision masculine avec des préjugés qui sont le propre des hommes, mais ça dévoile aussi une société individualiste et narcissique, la société des réseaux sociaux. »

La chanteuse Katy Perry dans son clip ''Dark Horse
La chanteuse Katy Perry dans son clip  »Dark Horse » en 2014 © ISOPIX

Une image qui peut évoluer positivement ?

Produit d’une vision sexiste, l’image de Cléopâtre est très puissante. Mais il se pourrait néanmoins qu’elle évolue pour correspondre davantage à une représentation plus positive de la femme. « Cléopâtre a mangé toute la période hellénistique. Ce succès, on peut l’expliquer, car c’est une femme, mais surtout une « African Queen », elle n’est pas blanche et cela apporte une altérité positive. Pour ce qui est de son évolution, je doute que l’on puisse revenir sur le côté égyptianisant, mais la société évolue. Au cinéma, par exemple, on pourrait voir une Cléopâtre noire. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui, les femmes ne sont plus des objets sexuels et ont un rôle actif. C’est un progrès assez lourd et ça peut toucher le mythe de Cléopâtre. On pourrait oublier l’aspect sensuel pour aller vers une image de femme forte. Ce serait bien, car il y aurait un retour à la Cléopâtre historique, car belle, elle ne l’était pas, mais subtil et futé, assurément« .

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Ouvrage : François de Callataÿ, Cléopâtre, usages et mésusages de son image, Editions de l’Académie royale de Belgique, 2015, 12euros.

Conférence le vendredi 22 juin, à 15 heures, aux Ecuries de l’Académie royale de Belgique.

Félicia Mauro

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