Avignon : allegro ma non troppo

© Christophe Raynaud De Lage

Avignon prend son rythme de croisière alors qu’on sue à grosses gouttes. Et pas qu’à cause de la chaleur!

On ne s’embrasse plus à Avignon: on sue! La 64ème édition a démarré à plus de 30° à l’ombre, le public arrive au compte gouttes, les rues sont encore traversables. L’affichage sauvage du Off prend son rythme qui envahit déjà la ville. Rude concurrence.

Des cercles de spectateurs se font et se défont au gré des scènes de rue. Ambiance. On danse, chante, joue, dort, pique-nique dans la rue, là où on peut. La chaleur dénude, la drague est douce. Ici, tout est permis (sous le regard discret de la police). Faut pas s’étonner de voir à 1h du matin un gars affalé sur sa moto, des jeunes squatter la (centrale) Place de l’Horloge avec du groove à hauts décibels. Le foot est mis en sourdine. Au bistrot, on parle théâtre, coups de coeur et coups de sang.


Mais le festival d’Avignon In s’ouvre d’abord en Cour d’Honneur, « ruines » en plein air du Palais des Papes, pouvant accueillir près de 2000 spectateurs! Une scène-défi pour la création. Mercredi, l’artiste associé au programme, le metteur en scène suisse Christoph Marthaler présentait sa création – Papperlapapp – destinée seulement pour la Cour.


Étonnant pour cet artiste à succès (habitué du Kunsten et du Singel): son spectacle est en dents de scie avec de nombreux spectateurs fuyant bruyamment (grossièrement pour les outrés). Au bout de 2h30 de spectacle, des huées succèdent aux bravos.

Voulant revisiter l’histoire du Palais des Papes et de la papauté, le Papperlapapp (traduction de l’artiste « Bla-bla-bla ») est finalement resté dans l’anecdotique, frôlant un humour à gags. Dans une scénographie mêlant confessionnal, bancs d’église, tombeaux dispersés et quelques machines à laver, 14 excellents comédiens-chanteurs déambulent en situations. Certaines sont fortes comme cette pulsion orgiaque à l’Eglise. Des habits de Pape tombés du ciel finissent au lavoir… Un monologue « à la Michaux » met le silence dans la Cour (« Mes mensonges savent très bien quels chemins prendre, quels escaliers descendre, quelles portes ouvrir… »). Sur une tombe, une maîtresse houspille son pape (d’Innocent VIII à Benoît XIV), la musique d’un violoncelle caché fait vibrer les ruines de la Cour jusque dans ses tréfonds! Mais le fil entre la religion et le politique reste le maillon faible de ce théâtre musical de Marthaler où le sujet peine à partager la pièce avec le spectateur et la Cour d’Honneur. Reste alors le plaisir mécréant, jouissif.


Autre défi, avec l’Anversois Guy Cassiers et son adaptation de « L’homme sans qualités » – Tome I de Robert Musil: 3H30 avec un entracte qui a vu la moitié des spectateurs s’échapper. Dommage pour eux. Après une première partie austère notamment à cause d’une créativité multimédia sous-exploitée, la deuxième partie retrouve la créativité dynamique de Guy Cassiers où l’art de la vidéo joue du gros plan, de l’architecture lumineuse, de la peinture raffinée… Le roman de Musil y trouve sa chair théâtrale, déployant ses champs de réflexions politiques et existentiels, d’un monde en décomposition (entre le XIX et le XXème siècle). Une deuxième partie juste plus dynamique, faisant résonner, sans abus, le propos de Musil au temps présent. Impressionnante fresque sur le monde


Enfin, côté spectacles blindés sold out, c’est du Belge, avec les nouvelles créations d’Anne Teresa De Keersmaeker et d’Alain Platel. Avignon est en vitesse de croisière…


Nurten Aka en Avignon

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