Ziad Doueiri: « Si nous étions gouvernés par des femmes, le monde serait bien meilleur »

Une étincelle rouvre les blessures de la guerre civile entre Toni, chrétien libanais (Adel Karam, à gauche), et Yasser, réfugié palestinien (Kamel El Basha). © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Un incident anodin opposant deux individus provoque une escalade incontrôlable. Avec L’Insulte, fraîchement nommé aux Oscars, Ziad Doueiri plonge dans la mémoire collective du Liban pour livrer une réflexion humaniste…

Ziad Doueiri n’aime rien tant que porter sa caméra en zone sensible. Cinq ans après L’Attentat, adapté du best-seller de Yasmina Khadra, voici donc L’Insulte, un film inscrit dans le quotidien libanais. Et s’ouvrant sur un incident banal qui va bientôt prendre une ampleur démesurée, faute d’entente possible entre Toni, un chrétien libanais phalangiste, et Yasser, un réfugié palestinien, leur orgueil s’étant largement abreuvé des blessures du passé. Si l’on pressent là quelque dispositif narratif commode, le scénario du film est pourtant inspiré d’une histoire vraie, vécue par le réalisateur: « Il y a quelques années d’ici, je vivais à Beyrouth, dans une vieille rue. Et alors que j’arrosais mes plantes, de l’eau a coulé du balcon sur des travailleurs en train de nettoyer. L’un d’eux m’a crié: « Espèce de chien! » Je lui ai demandé pourquoi il me traitait de la sorte, alors qu’il n’avait qu’à marcher de l’autre côté de la rue. C’est alors que j’ai remarqué qu’il avait un accent palestinien et je lui ai asséné la pire insulte que l’on puisse imaginer -celle-là même que l’on retrouve dans le film: « Ariel Sharon aurait dû tous vous exterminer! » En un sens, je suis content de l’avoir fait, parce que ça a débouché sur ce film. Si je m’étais contenté de lui balancer « stupide connard! », l’histoire n’aurait jamais pris de telles proportions. Mais je ne pense pas que l’on dise ce genre de choses, qui vont bien au-delà de l’indécence, par hasard: l’inconscient est entré en ligne de compte. » Et avec lui les stigmates du passé. Témoin de la scène, Joëlle Touma, la coscénariste de L’Insulte, persuadera Doueiri d’aller présenter des excuses que son interlocuteur refusera. Circonstances qui serviront de moteur à un film illustrant l’engrenage d’un conflit tout en interrogeant la mémoire collective du Liban.

Politique malgré lui

Afin d’en poser les enjeux, Ziad Doueiri a opté pour la forme du film de procès, héritage sans doute de son éducation américaine, qui a vu ce natif de Beyrouth étudier à San Diego et Los Angeles, avant de travailler comme assistant caméra pour Quentin Tarantino, Robert Rodriguez ou autre Joe Dante. « J’ai opté pour un film de procès parce qu’on peut y mettre les deux protagonistes dans une même pièce, où ils vont s’affronter. Il y a là un côté fort dramatique: quand on voit The Verdict de Sidney Lumet, ou Judgement at Nuremberg de Stanley Kramer, on reste bouche bée. J’ai regardé beaucoup de films de procès pendant l’écriture, un genre dans lequel les Américains excellent, à quoi s’ajoute que je suis issu d’une famille de juristes: plusieurs de mes oncles sont juges à la Cour suprême, et ma mère est une avocate réputée. Elle a d’ailleurs servi de consultante technique sur L’Insulte . »

S’il y avait là un gage de crédibilité, Ziad Doueiri n’en souligne pas moins avoir fait une oeuvre de fiction. « La société est la société, et un film reste un film, martèle-t-il. Mon intention n’a jamais été de délivrer un message politique ou social. Faire des films est bien assez difficile, vous ne voudriez pas en plus que je change la société? J’ai tourné L’Insulte parce que ça devait sortir: toute ma vie, j’ai dû composer avec ces questions. » Et d’évoquer sa connaissance intime des quinze ans de guerre civile au Liban, de 1975 à 1990, étant issu d’une famille militante de la cause palestinienne tandis que sa coscénariste venait du bord opposé. Soit, peu ou prou, l’arrière-plan historique du conflit se nouant à l’écran: « Il y a pour le moment une cohabitation incroyable au Liban, mais le Moyen-Orient reste une poudrière pouvant exploser à tout moment. Ce que nous voulions raconter avec ce film, c’est que ce sont là deux personnes qui se détestent et se rejettent mutuellement la responsabilité de leurs problèmes, mais qui se ressemblent beaucoup. » Et si la moindre brise est susceptible de raviver le foyer de la discorde, une alternative paisible est aussi possible, dont L’Insulte fait des femmes le moteur. « J’ai la conviction que si nous étions gouvernés par des femmes, notre monde serait bien meilleur. Plus que partout ailleurs, nous avons besoin de femmes au pouvoir dans le monde arabe. Mais ne comptez pas sur moi pour me lancer dans l’analyse de société… », conclut-il. Politique malgré lui, en somme.

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