Serge Coosemans

Wonder Woman, film féministe? Bien sûr et Beyoncé, c’est Simone Veil.

Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans n’a pas vu Wonder Woman et n’a aucune envie de le voir. Ce qui s’est écrit à son sujet est par contre très intéressant, de l’histoire du personnage à sa récupération politique en passant par ses influences et les idioties balancées au sujet de sa toute récente adaptation. Revue de presse, synthèse Wikipédia, pop-culture et poumpoum short étoilé, c’est le Crash Test S02E34.

On a pu lire un peu partout cette semaine que la première super-héroïne jamais dessinée fut Wonder Woman, dont la dernière adaptation cinématographique cartonne en ce moment dans les salles. C’est bien entendu complètement faux. Le personnage n’est en effet apparu en kiosques qu’en octobre 1941, soit 4 ans après les débuts de Sheena, Queen of the Jungle, la Tarzanne lancée en 1937 par le génial Will Eisner et son comparse Jerry Iger. Certains geeks fondamentalistes objecteront que dénuée de super-pouvoirs, Sheena n’était pas vraiment une super-héroïne. Elle parlait pourtant couramment le langage des animaux et était sinon également capable d’assommer les gorilles à mains nues. De plus, Sheena is a punk-rocker, comme nous le chantaient en 1977 les Ramones, le temps d’un hommage bien senti à une bédé de leur adolescence. Cela dit, Sheena avait beau castagner du crocodile au kilo, elle ne cassait en réalité pas trois pattes à un canard. Ce comic book relevait même carrément de l’exploitation pure et simple, commercialement inspiré du succès de Tarzan et sinon largement pompé de She, un roman d’aventure extrêmement populaire publié par H. Rider Haggard à la fin des années 1880. Celui-ci racontait la découverte par des explorateurs britanniques d’un monde perdu au milieu de l’Afrique et sur lequel régnait une mystérieuse reine blanche, Sheena donc. C’était victorien, impérialiste, souvent même raciste. Mais ça parlait aussi, en filigrane, d’autorité et d’émancipation féminine. Et She, roman anglais, devient donc Sheena, bédé américaine, précisément en pleine Grande Dépression. Ce qui n’est pas un hasard.

C’est en effet une époque où l’ont voit apparaître dans la culture populaire beaucoup d’héroïnes fortes plus ou moins libérées (Miss Fury, Catwoman, Mildred Pierce… pour n’en citer que trois). C’est dans l’air du temps, ça répond à une certaine demande commerciale. Fin 1941, quand débarque Wonder Woman dans le monde de la bédé, William Moulton Martson, son créateur, cherche d’ailleurs lui aussi à se faire un peu de pognon. Il a beau sincèrement clamer que son personnage tient de la « propagande psychologique pour le nouveau type de femme qui devrait diriger le monde », il répond en fait surtout à deux demandes précises de son éditeur, DC Comics. La première, c’est d’inventer un personnage sain et positif à une époque où les comités de censure cherchent beaucoup de poux aux comic books, jugés violents, amoraux et érotiques. La seconde, c’est de faire la nique au Captain America de chez Marvel, la maison concurrente, un personnage apparu quelques mois plus tôt et lui aussi équipé d’un costume aux couleurs du drapeau, d’une force surhumaine, d’une arme désuète et d’un patriotisme à toute épreuve. « L’Amérique est la dernière citadelle de la démocratie où les femmes ont les mêmes droits que les hommes », pérore encore Marston. Dans un premier temps, la principale propagande que sert son héroïne n’est pourtant pas celle de la cause féminine mais bien celle de la machine de guerre américaine. Si la belle amazone en poumpoum short étoilé dérouille principalement du nazi plutôt que du macho sidéral, et mieux que les hommes encore bien, c’est en effet surtout pour inspirer les femmes qui participent à l’effort de guerre contre les puissances de l’Axe. Ce qui n’empêche pas la bédé, en moins d’un an, d’être taxée d’indécence et d’inciter au lesbianisme.

La guerre terminée et les hommes rentrés au pays, ceux-ci retrouvent très vite leurs jobs laissés aux femmes durant leur absence. En fait, elles sont carrément renvoyées à leurs casseroles, y perdant une certaine émancipation ainsi qu’une vie sociale plus riche. La plupart des programmes d’aides sociales accordées aux femmes durant le conflit sont démantelés. Apparaissent les machines à laver, les cuisines équipées, la consommation de masse, la classe moyenne, ainsi que la conception quasi toujours d’actualité de ce que doit être une femme au foyer. La femme forte et émancipée ne disparaît pas mais dans la culture populaire, de la fin de la guerre à celle des années 60, son rôle est souvent sinon marginal du moins un peu moins naturel; parfois bêtement plus kitsch, comme Sheena, dont la relégation en seconde division débute dès les années 50 ou alors plus subversif, ce qui est le cas de Wonder Woman, qui devient au début des seventies un symbole MLF, notamment via les écrits de Gloria Steinem, même si, parallèlement, les bédés et surtout la série télé disco avec Lynda Carter pataugent alors elles aussi vraiment dans le nawak. Sheena finira même par disparaître et s’oublier, alors que voilà pourtant un personnage féminin qui n’a jamais eu de relation romantique ou sexuelle avec les hommes, tous ineptes et inférieurs, dont l’affublèrent les scénaristes. Ce qui n’est pas le cas de Wonder Woman.

« Superman a une dette envers la science-fiction, Batman doit beaucoup aux polars et aux histoires de détectives », écrivait il y a 3 ans Jill Lapore dans The Guardian, à l’occasion de la sortie de son bouquin retraçant l’histoire du personnage. Selon cette auteure féministe, Wonder Woman, c’est différent. À sa création, William Moulton Marston ne s’est en effet pas inspiré comme ses pairs de ce qui se trouvait ailleurs dans les pulps et les feuilletons victoriens mais a plutôt puisé ses idées dans la mythologie classique, l’histoire politique et les revendications sociales. C’est bien pourquoi Lapore semble aujourd’hui plutôt déçue du film avec Gal Gadot, du moins si on en croit ce qu’elle en écrivait il y a 15 jours dans The New Yorker. « La Wonder Woman de 2017 ne se bat ni pour l’Amérique, ni pour les droits des femmes, parce qu’elle transcende ce combat, dit-elle. Le film se passe dans un 1918 de pacotille et suit un scénario sans intérêt à propos du Kaiser et d’armes chimiques (…) Il rend invisible – efface – les combats féministes menés à la même époque pour la représentation, la contraception et l’égalité (alors que Marston y a participé et s’en est inspiré, ndlr). Les vraies femmes qui se battaient se sont appelées Amazones, des figures mythiques, parce quelles ne connaissaient pas grand-chose à l’histoire des femmes et elles ont du s’imaginer des ancêtres. Wonder Woman est leur fille. Elles l’ont fabriquée à partir d’argile. Wonder Woman leur doit une dette que le film ne paye pas. »

Voilà qui est, je pense, un peu gratuit mais toutefois bien tapé. Je n’ai pas vu le film et je n’ai aucune envie de le voir. J’ai entendu que c’était le premier depuis perpète mettant en scène un personnage DC Comics qui ressemble enfin à quelque chose. J’ai aussi entendu que ce n’était jamais que de la propagande US (armes chimiques = ligne rouge, capisce?) et qu’il était surtout considéré comme féministe parce que réalisé par une femme, alors que l’on sait pourtant tous qu’à ce niveau de production et d’enjeux économiques mondiaux, le/la réalisateur/trice n’est qu’un technicien parmi d’autres n’ayant pas grand-chose à dire. J’ai encore entendu que c’était jouissivement féministe comme Mad Max Fury Road l’était, autrement dit qu’à notre époque, il suffit qu’une femme conduise un camion ou fasse avaler leurs dents à des demi-dieux pour être aussitôt applaudie comme digne héritière de Olympe de Gouges; ce qui doit drôlement faire ricaner Diane Keaton, Jane Fonda, sans même parler de Marlène Dietrich. Tout cela me gave. Ce genre de cinéma de nature à infantiliser les adultes me gave. Ce genre d’écrits de nature à infantiliser le débat social me gave. J’ai déjà vu Wonder Woman, en bien mieux, il y a 15 ans, il y 25 ans. Ça s’appelait alors Erin Brockovich ou Le Silence des agneaux. Des meufs, des vraies, avec des failles et des vies plausibles, qui emmerdaient royalement des hommes méchants, bêtes ou les deux, dans un contexte de dévalorisation sociale instituée. Et ne me lancez surtout pas sur les films de femmes des années 70, 60, 50 et 40… Wonder Woman, film féministe? Mais bien sûr, et Beyoncé, c’est Simone Veil.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content