Vicky Krieps, tout d’une grande

"J'ai décidé, une bonne fois pour toutes, de ne pas être importante, d'être comme un écran sur lequel le réalisateur et les spectateurs projettent leur vision." © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La jeune actrice luxembourgeoise Vicky Krieps avance avec intelligence et un éblouissant talent. Au pays comme chez Paul Thomas Anderson.

Depuis sa prestation superbe dans Phantom Thread face à Daniel Day-Lewis, le monde connaît Vicky Krieps. Pleinement révélée devant la caméra de Paul Thomas Anderson, l’actrice luxembourgeoise nous revient dans Gutland, un captivant thriller rural tourné dans son pays natal. Une manière d’afficher clairement son désir de travailler tout à la fois sur des productions internationales à haut profil et sur des projets européens plus modestes en moyens.

Aussi grande de taille que par son talent artistique, Vicky s’exprime dans un très bon français, coloré d’un léger accent germanique. « Jusqu’à tout récemment, j’ai réussi à… ne pas être connue, sourit-elle, parce que j’ai toujours fait ce qu’on n’attendait pas de moi! » Une politique qu’elle entend bien poursuivre, même avec son nouveau statut de vedette. « Les gens me demandent ce que ça fait d’être connue et reconnue. Je peux au moins leur répondre une chose, c’est que je ne changerai pas ma manière d’être et d’opérer mes choix. Une manière que je pourrais décrire comme une logique chaotique, qui est inscrite en moi. Je ne choisirai jamais ce qui semble évident. Je ne ferai jamais ce qui est à faire mais toujours ce qui ne l’est pas. C’est une part de ma personnalité. Je vis ma vie comme ça. Dès que quelque chose s’installe et devient prévisible, je dois bouger, prendre un autre chemin… »

Un film de genre luxembourgeois à tout petit budget, un drame à haut impact réalisé par un des cinéastes majeurs de notre temps: pas de grand écart mais l’expression d’une liberté qui ne sera pas en danger si Vicky persiste à vouloir le meilleur des deux mondes, elle que son multilinguisme a déjà propulsée dans des films signés Éric Rochant (Möbius), Anton Corbijn (A Most Wanted Man) et Raoul Peck (The Young Karl Marx). « Depuis Phantom Tread, je reçois plus de scénarios, pour de plus gros films et pour des rôles plus importants, explique l’actrice, mais dans cette offre plus abondante, c’est toujours à l’intuition que je ferai mes choix. Il y aura toujours de petits films à valeur artistique ajoutée et de plus gros budgets à grand public potentiel. Je peux jouer sur tous les registres. C’est très drôle parce qu’en ne voulant pas faire comme il faut… j’ai finalement et sans le vouloir fait ce qu’il fallait! »

Un paradoxe réjouissant, que vient soudain souligner l’apparition de Fabrice du Welz, ému et empressé de confier le scénario de son prochain film à Vicky. « C’est sûr que je vais le lire, et peut-être bien que je vais le faire, ce film, commente-t-elle une fois le cinéaste belge parti, car avant même d’ouvrir le script j’ai une sensation positive… Je pense que ma notoriété ne dissuadera personne de me proposer des films indépendants, sans grands moyens. D’ailleurs, j’ai choisi de tourner trois films français qui sont tous des films d’auteur, réalisés par des jeunes qui n’ont pas fait beaucoup de films avant. Tout en disant non à plusieurs grosses productions américaines. »

Bien à sa place

Quel que soit le personnage joué, Vicky Krieps apparaît toujours parfaitement à sa place, sans effort apparent, comme naturellement. Même devant l’impressionnant Daniel Day-Lewis. « C’est peut-être parce que je me sens vraiment bien devant la caméra, explique-t-elle . Dès que j’ai commencé à faire des films, je me suis sentie à ma place. J’avais l’impression de respirer mieux, comme s’il y avait plus d’air, et un air meilleur. Les autres me demandaient si je n’étais pas nerveuse, si je n’avais pas le trac mais, bizarrement, j’éprouvais plus de trac à vivre ma vie qu’à faire des films… Je me suis demandé ce que ça pouvait signifier, psychologiquement. Et je me suis rendu compte que la caméra, quand elle tourne, m’apaise. Parce que tout ce qui arrive, une fois qu’elle tourne, va exister pleinement. Pas comme dans la vraie vie où l’on se pose sans cesse des questions: qui je suis? qui est l’autre? qui manipule qui? Un film est un film, c’est très rassurant pour moi. Je l’ai ressenti dès mes premiers courts métrages. »

« Apprendre le texte, me préparer ne me prend aucune énergie, c’est très facile pour moi. Toute mon énergie passe à essayer d’être dans l’instant, de me focaliser entièrement sur un moment, sur un lieu. Et, que je sois en face d’une personne ou en face d’une chaise, d’être vraiment là, absolument là. C’est à partir de ça que tout devient possible! » Vicky ne perd jamais de vue  » qu’on ne sera jamais quelqu’un d’autre que soi, qu’on peut jouer un personnage mais qu’on sera toujours soi« . Et que « c’est dans la conscience de cette réalité qu’on peut s’ouvrir à l’autre réalité, celle du cinéma, de la magie du cinéma. J’ai décidé, une bonne fois pour toutes, de ne pas être importante, d’être comme un écran sur lequel le réalisateur et les spectateurs projettent leur vision. »

Elle ne fera jamais de film « pour prouver que je sais jouer, ce serait trop ennuyeux« . Elle promet aussi de ne jamais « se regarder jouer un personnage, un piège dans lequel il est facile de tomber quand on fait des films en Amérique, où tout ou presque tourne autour de l’argent et du paraître« . « Je me tiens à l’écart de ça comme à l’écart du feu, conclut la jeune actrice, ça ne veut pas dire que je ne ferai jamais de film américain, mais je le ferai en sachant que ce poison existe et qu’il ne faut pas y goûter pour ne pas me perdre… »

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