Veerle Baetens: « La langue que tu parles dans un film, c’est aussi une mélodie »

Veerle Baetens © BELGAIMAGE/Frank Abbeloos
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Aujourd’hui à l’affiche de D’Ardennen, l’étoile Veerle Baetens brille de plus en plus haut depuis The Broken Circle Breakdown (Alabama Monroe). Elle vaut bien!

Elle joue la compagne d’un ex-taulard repenti dans D’Ardennen, le film noir intense de Robin Pront. Et deux frères en tombent amoureux dans Un début prometteur d’Emma Luchini. En flamand comme désormais en français, l’actrice née à Brasschaat voit sa trajectoire décoller depuis le succès fou -et ô combien mérité- du bouleversant Alabama Monroe (The Broken Circle Breakdown) de Felix Van Groeningen.

Veerle Baetens, qui est aussi chanteuse (au sein du groupe Dallas), ne manque pas d’établir un rapport entre ses deux champs d’action. « La langue que tu parles dans un film, la voix de ton personnage, c’est aussi une mélodie, une sorte de musique particulière. Avec, bien sûr, les mots, et leur sens. Et le silence, qui est encore plus important que les mots! » La comédienne illustre son propos de l’exemple de D’Ardennen, « où l’accent régional de chaque personnage est assumé pour le réalisme mais aussi la musicalité », et de celui des projets français qui lui viennent depuis peu (dont Un début prometteur et la série télévisée produite par Arte Au-delà des murs), et pour lesquels elle apprend son texte de manière phonétique, jusqu’à n’avoir presque plus… d’accent.

« Difficile de dire si ton personnage est plutôt un violon ou un violoncelle, nuance Baetens, mais c’est du côté des instruments à cordes qu’une comparaison peut être faite. Pas du piano. Quand tu joues une note sur un piano, c’est la note, point. C’est un do ou un la. Alors que sur un violon, une fois que tu as posé tes doigts, il te faut encore chercher pour te rapprocher de la note juste, à l’aveugle. C’est ça, être acteur… Et tout dépend du réalisateur, de sa capacité à faire sortir de l’instrument que tu es pour lui des sonorités justes, et inédites parfois. Mais pas toujours, en fait, et pas souvent, car il te choisit comme interprète en fonction de ce qu’il a perçu de toi. Le plus souvent, on me demande d’amener ce que je sais faire et que le réalisateur a aimé en me voyant dans d’autres films. Certains vont heureusement plus loin, ils me font sortir des sons que je ne connaissais pas, des couleurs, aussi, par le choix des vêtements, la coiffure, le maquillage. Une expérience totale, rare et précieuse. »

Contrainte et liberté

Fille d’instituteurs, qui lui ont appris un néerlandais classique, Veerle a dû s’habituer à parler le patois anversois pour incarner dans D’Ardennen « une jeune femme de milieu pauvre, n’ayant pas beaucoup connu l’école, et beaucoup plus la rue. » Elle a mémorisé le texte « mot à mot », de quoi renforcer encore un sentiment musical. « C’est bizarre, paradoxal et génial de constater que cette contrainte permet au final une plus grande liberté, s’exclame- t-elle, car quand tu sais ton texte sur le bout des doigts, tu peux jouer avec lui! C’est comme dans la vie: quand tu as trop de choix, tu ne sais plus choisir… Ou quand tu écris une chanson dans une autre langue que la tienne: c’est plus facile, parce que tu as moins de mots, et les mots les plus faciles, qui sont souvent aussi les plus forts… »

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Du fait de jouer dans une autre langue (elle tient également des rôles en anglais, notamment dans la série télévisée européenne The Team), l’actrice dit que c’est aussi, un peu, libérateur. « Quand les spectateurs te regardent jouer dans ta langue maternelle et que c’est aussi la leur, ils entendent tout de suite quand quelque chose n’est pas juste. Alors que s’ils te voient jouer dans une autre langue, ils ne s’en rendent pas compte. Et les spectateurs français ou anglais qui te voient jouer dans leur langue, ils savent bien que tu es étrangère et ils t’accordent une plus grande latitude, ils t’acceptent plus facilement… » Et de s’enthousiasmer devant « ce bonheur inouï d’être face à une page blanche, de t’adresser à un public qui ne sait encore rien de toi, qui n’a pas vu les moins bons -et parfois pas bons du tout- films et téléfilms que tu as pu tourner avant, dans ton pays… Et puis en France, le phénomène BV ne joue pas et ça, c’est formidable: on te regarde pour ce que tu fais, pas pour ce que tu es… En Belgique, c’est trop chiant! »

Dans un grand éclat de rire, Veerle fait allusion à ce phénomène des BV, « Bekende Vlamingen » ou « Flamands connus », qui mobilise médias et public sur la vie privée des célébrités locales… Un phénomène qui aura, pour elle, atteint son comble au moment du triomphe d’Alabama Monroe. « Ce fut une merveilleuse aventure, et ça le reste encore quand nous donnons des concerts avec les musiciens du film et qu’on ressent cette ferveur incroyable qu’ont les gens, comme une espèce de communion », commente l’interprète d’Elise dans le film. « Déjà pendant le tournage, nous avions la sensation qu’il se passait quelque chose de très spécial, se souvient-elle. C’était si intense, il y avait tant d’émotion! Nous ne pouvions pas voir d’images, de rushes ni même regarder le combo (1). Alors j’étais un peu perdue. Près de moi, il y a toujours un ange et un diable. L’ange me disait qu’on faisait un grand film, mais le diable venait me tirer par les pieds en me disant que ça pouvait encore être raté… » Aujourd’hui, Veerle Baetens rêve de réaliser son propre film. Nul doute qu’elle y parviendra, nous dit son ange, et qu’il aura « quelque chose »…

(1) MONITEUR PLACÉ PRÈS DE LA CAMÉRA ET QUI PERMET DE VOIR EN TEMPS RÉEL, OU EN LÉGER DIFFÉRÉ, CE QUE « VOIT » CELLE-CI.

D’ARDENNEN, DE ROBIN PRONT, AVEC JEROEN PERCEVAL, VEERLE BAETENS, KEVIN JANSSENS. 1H35. ***

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