Vaiana, le Disney de Noël est écolo

Vaiana l'intrépide vahiné fait équipe avec le demi-dieu Maui dans son périple sur les flots. © Disney
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Le traditionnel Disney de fin d’année fuit les frimas de l’hiver pour se dorer la pilule sous le soleil du Pacifique sud. Un exotisme de bon aloi mais peu enclin à bousculer les codes historiques maison, éprouvés et résolument américano-centrés.

Il est permis d’envisager les choses sous l’angle d’un remake de la querelle qui agitait jadis les Anciens et les Modernes. En schématisant à peine, deux sortes de longs-métrages d’animation semblent aujourd’hui devoir en effet émerger de l’usine à rêves Disney à l’approche des fêtes: les « classiques » (Raiponce, La Reine des neiges), revisitant – parfois en le dépoussiérant timidement – l’univers des fables et autres contes de fées, et les plus « actuels », sous influence Pixar, ponctionnant à la culture gaming, manga et superhéros (Les Mondes de Ralph, Les Nouveaux héros). Nouvel arrivé dans la grande famille des livraisons de fin d’année, Vaiana, la légende du bout du monde (lire la critique) relève incontestablement de la première catégorie.

Inspiré de la tradition orale polynésienne, VaianaMoana en version originale… (1) – est signé John Musker et Ron Clements, insubmersible tandem Disney responsable de quelques-uns des plus fameux titres maison, de La Petite Sirène à La Princesse et la Grenouille en passant par Aladdin ou Hercule. Soit un grand effilé et un petit trapu: les Laurel et Hardy de l’enseigne Mickey où, tous deux originaires du Midwest, ils travaillent désormais depuis plus de quatre décennies, le second s’occupant de structurer, d’offrir un cadre au processus de création, tandis que le premier prend en charge les dialogues et tente d’insuffler de la vie à l’ensemble de l’oeuvre à élaborer.

Elément perturbateur

John Musker et Ron Clements, tandem iconique de la grande tradition des classiques Disney.
John Musker et Ron Clements, tandem iconique de la grande tradition des classiques Disney.© ISOPIX/Joel Ryan

Vaiana est leur premier film entièrement animé par ordinateur. Mais, à l’origine, la paire historique commence à travailler, des mois durant, sur l’adaptation d’un livre du maître de la fantasy burlesque Terry Pratchett, Mortimer, avant d’être stoppée dans son élan pour de sombres histoires de droits. En quête de matériau original, le duo s’intéresse alors à la culture du Pacifique sud, cadre singulier où développer de nouveaux personnages, et nourri dans leur imaginaire par les récits de Joseph Conrad, Herman Melville, les peintures de Gauguin ou un certain goût pour la sculpture traditionnelle. « Mais nous ne nous étions encore jamais rendus sur place, se souvient John Musker, alors qu’on le rencontre flanqué de son inséparable compère au dernier Festival international du film d’animation d’Annecy. Nous avons d’abord commencé par nous plonger dans la mythologie polynésienne avant de faire le déplacement. L’histoire de Maui a particulièrement retenu notre attention. Il s’agit d’un demi-dieu, métamorphe (2), et le récit de ses exploits est très populaire dans la tradition orale polynésienne. Il y joue souvent le rôle de l’élément perturbateur, celui qui vient dérégler le cours normal des événements. Du pain bénit, en somme, pour construire un personnage de film d’animation attractif. De là, nous avons commencé à approfondir nos recherches, à nous rendre sur place et à apprendre tout ce qu’il était possible d’apprendre sur le sujet. »

Ron Clements complète: « Toutes ces îles du Pacifique sud composent l’un des plus beaux endroits qui existe au monde. Mais il était primordial pour nous de ne pas vivre cette expérience en parfaits touristes, d’aller à la rencontre de personnes qui comprennent profondément la culture et la philosophie locales, le rapport à l’océan que cela induit de vivre là. Des pêcheurs, des linguistes, des anthropologues… Il était également important pour nous d’impliquer un natif de cette région dans le processus même d’écriture. C’est ainsi que nous avons fait appel à Taika Waititi (NDLR: la série Flight of the Conchords, les films Eagle vs Shark, Boy ou What We Do in the Shadows) pour élaborer le scénario en notre compagnie. »

Retour de bâton

Commence alors le travail de création pure, débouchant sur l’idée de la quête d’une jeune femme, Vaiana l’intrépide vahiné, déterminée à sauver son peuple, à lui rendre la prestance de son passé voyageur et à comprendre le rapport qui la lie spécifiquement à l’élément aquatique – dont le formidable rendu technique impressionne – en faisant équipe avec Maui, le demi-dieu. A l’arrivée, si le film multiplie les tentatives afin de renouveler la formule, en lorgnant notamment une certaine poésie écolo propre aux productions Ghibli (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro) ou en ironisant ponctuellement sur ses propres codes, il reproduit peu ou prou une recette éprouvée, tissée d’innombrables chansons rêveuses portées par une héroïne qui n’a pas froid aux yeux et doit affronter ses peurs pour accomplir sa destinée. Seul le cadre semble évoluer d’un classique Disney à l’autre, le fond restant résolument inchangé.

Le film a essuyé des critiques en rafale et suscité la polémique auprès du public polynésien

Plus problématique: si ses créateurs se revendiquent d’une louable démarche d’apprivoisement de la culture polynésienne, le film a essuyé des critiques en rafale et suscité la polémique au niveau local. Le personnage de Maui, surtout, pose problème, dont la voix en v.o. est assurée par Dwayne « The Rock » Johnson. Lequel débite les termes maoris et samoans avec un accent US si prononcé qu’ils s’apparentent à de pures erreurs de prononciation. Le public polynésien s’insurge: pourquoi ne pas avoir fait appel à un acteur de doublage du cru, espèce par ailleurs largement sous-représentée dans les productions hollywoodiennes? Résolument gras du bide, le Maui Disney est en outre perçu comme un cliché insultant et diffamatoire dans une région où les problèmes liés à l’obésité sont légion. Le fat shaming (comique moqueur à l’encontre des personnes en surpoids) n’est pas loin. Très vite, le merchandising développé autour du film pose également question: les Américains sont occupés à faire de l’argent sur le dos de l’histoire et des croyances polynésiennes. Même animés des intentions les plus bienveillantes, les enfants de l’Oncle Sam ont encore beaucoup à apprendre…

(1) Moana signifie « océan », « mer profonde » ou « grande étendue d’eau » en maori. Mais en raison d’un conflit de copyrights, dû au fait que le nom « moana » était déjà déposé au registre du commerce par une entreprise de parfumerie dans plusieurs pays d’Europe, Disney a modifié le titre du film et le prénom de son héroïne dans lesdits pays en Vaiana, prénom d’origine tahitienne pouvant se traduire par « eau de roche ».

(2) Etre ayant la capacité de modifier son apparence physique.

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