Tueurs, visite de plateau

Tueurs © Jo Voets/Versus
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Tournage prometteur pour un polar belge hanté de faits divers réels, sanglants. Tueurs sera très attendu!

Tueurs se révélait au monde au Festival de Venise, presque un an jour pour jour après notre visite sur son tournage prometteur. L’équipe s’était installée pour quatre jours à Verviers, plus précisément dans la prison désaffectée qu’il a fallu quelque peu « rajeunir » en désherbant, en donnant un coup de peinture et en plaçant en haut du mur d’enceinte des barbelés tout neufs! « On va les laisser, après, même si la prison ne sert plus que de lieu d’entraînement pour les forces spéciales », commente un des producteurs du polar le plus attendu de cette rentrée cinématographique. Tueurs, c’est une fiction où se trouvera la trace d’affaires criminelles fameuses, l’écho de scènes qui firent trembler la Belgique, la réminiscence d’un mystère aussi sanglant qu’irrésolu: la saga des Tueurs du Brabant. « Du cinéma de genre pour parler de la société », commente sobrement François Troukens. Scénariste et coréalisateur du film avec Jean-François Hensgens (un chef-opérateur du top), Troukens est lui-même passé par la case prison avant de tracer sa route dans les médias et de devenir cinéaste. Fils de bonne famille tourné truand, il fut un spécialiste des braquages de fourgons blindés, puis défia la chronique par sa longue cavale à l’étranger et sa condamnation par contumace à 28 ans de prison, puis par son arrestation en France et son extradition. En liberté conditionnelle depuis 2010, le quadragénaire au charisme certain a tourné le dos à sa carrière de malfrat, ne retournant brièvement derrière les barreaux en 2013 que pour avoir rencontré… Joey Starr, un autre ex-détenu, violant ainsi les règles de sa conditionnelle…

Tueurs, visite de plateau
© GAETAN CHEKAIBAN

Spectacle et politique

Reconverti en chroniqueur radio puis présentateur à la télévision (Un crime parfait sur RTL-TVI), auteur de BD (Forban, avec Alain Bardet), celui qui fit des études artistiques avant de déraper vers le banditisme anime aussi une association luttant pour une meilleure politique de réinsertion des détenus libérés. Aujourd’hui, à Verviers, il concrétise un rêve de cinéma né d’une rencontre, durant sa cavale, avec José Giovanni, autre « droit commun » devenu cinéaste avec le succès que l’on sait. Pour l’instant, il met en scène une très spectaculaire séquence d’évasion en voiture. Le pare-brise de l’Infiniti noire est éclaboussé de (faux) sang et de (faux) morceaux de cerveau. Un Olivier Gourmet en gilet pare-balle grille une cigarette avant la prise. Lubna Azabal ajuste son propre gilet protecteur sur un uniforme de policière. À quelques pas du tandem policier, le jeune acteur flamand Kevin Janssens est tellement dans son personnage qu’il ne lâche pas une seconde, entre les prises, le gun qu’il serre dans son poing droit. Bientôt, l’automobile dévalera la pente menant de la prison à la rue, dans un vrombissement de moteur accompagné de crissements de pneus. Deux vrais policiers à moto ouvrant la voie au bolide de la fiction…

Le sang, la cervelle, pourraient-ils être ceux d’un ministre incarné par Jean-Louis Sbille? François Troukens se souvient, avec un sourire, avoir été voisin de cellule d’Alain Vanderbiest(1) à Lantin et « pensé qu’il ferait une bonne monnaie d’échange en cas d’évasion ».

« Avec Tueurs, et spécialement avec le personnage de Frank (Olivier Gourmet), je veux aborder la figure un peu oubliée du gangster à panache, agissant selon un certain code moral « ,annonce le réalisateur, qui ne cache pas son désir de « cumuler les deux niveaux que sont spectacle et politique, un peu comme le fait Denis Villeneuve dans Sicario. » Troukens sourit en reconnaissant « ne pas voir les moyens de faire du Michael Mann », mais veut s’inscrire dans la référence réaliste qu’incarne son prestigieux collègue américain. « Tueurs ne sera pas un film d’action, ni un film journalistique, poursuit-il, on sera dans le point de vue, la complexité des êtres et des faits, ces derniers étant romancés même s’ils font écho à des événements authentiques. »

François Troukens & Jean-François Hensgens
François Troukens & Jean-François Hensgens © GAËTAN CHEKAIBAN

Sur l’affaire des tueurs du Brabant, François Troukens dira simplement: « Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a eu manipulation. » Son film ne prétendra pas éclaircir le mystère, mais promet d’épingler certaines responsabilités dans les sphères policière, judiciaire et politique. L’ex-taulard devenu cinéaste n’en traverse pas moins le plateau pour apporter de l’eau aux deux policiers à moto qui suent à grosses gouttes sous la chaleur de la fin de l’été. Leur présence est en partie motivée par la nouvelle alerte terroriste déclenchée la veille. La collaboration d’agents de la DSU (unités spéciales de la police fédérale) ayant pour but d’appuyer jusqu’au détail, par leurs conseils, le souci de réalisme aigu d’un Troukens bien décidé à ce que tout dans son film soit crédible et vraisemblable. « C’est d’eux que je tiens notamment le fait que les sorties de personnalités potentiellement menacées pour les transporter se font à l’abri de parapluies, pour tromper d’éventuels snipers », confie celui dont le premier film très attendu ne manquera pas de défier la chronique, à Venise d’abord et surtout en Belgique, où il sortira au début du mois de décembre.

(1) Ministre socialiste wallon incarcéré dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’André Cools. Il se suicidera en 2002, laissant une lettre où il clamait son innocence.

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