Sophie Marceau: « Que serais-je sans le cinéma? »

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A l’affiche du nouveau film de Yann Samuell, L’Age de raison, l’actrice y reçoit une piqûre d’enfance. L’occasion d’un retour en arrière, en forme d’introspection.

C’était en 1980, il y a tout juste trente ans, et Sophie Maupu, devenue Marceau pour la cause, se muait, du haut de ses 14 ans, en icône générationnelle. Après La Boum, il y aurait La Boum 2, et puis beaucoup d’autres films encore, réussis pour les uns, hasardeux pour les autres, sans que rien s’en trouve fondamentalement altéré. Graine de star puis star aux aspirations anti-star dans un même élan; mieux qu’un rôle, une figure sans posture, avec au bout une popularité inoxydable, encore célébrée, tout récemment, par les lecteurs d’un magazine cinématographique qui l’avaient plébiscitée actrice favorite des Français. Qui d’autre, d’ailleurs, pour être à l’affiche d’un nouveau manifeste générationnel, Lol, près de trente ans après celui qui l’avait révélée?

La voilà aujourd’hui, après un Ne te retourne pas où elle se transformait en… Monica Bellucci (une moins bonne idée qu’il n’y paraissait sur le papier) à l’affiche de L’Age de raison, film-fable de Yann Samuell. La métamorphose annoncée d’une « executive woman » qui, pour son quarantième anniversaire, reçoit une lettre qu’elle s’était adressée à elle-même à l’âge de 7 ans, histoire de vérifier qu’elle n’aurait pas oublié ses rêves et promesses d’enfance. Traité sur un mode léger à l’écran, le propos n’a rien d’anodin pour autant: « Les acteurs sont le reflet de la comédie humaine », observe-t-elle, alors qu’on l’interroge sur ce retour sur soi vers lequel semble s’infléchir son parcours. « Mes rôles d’aujourd’hui vont forcément traiter de ces choses-là, cette introspection, ce retour en arrière que l’on vit vers 40, 45, 50 ans. C’est cohérent, et moi, j’ai envie d’être très cohérente avec ce que je suis dans la vie. Mes rôles, je les nourris en faisant partager mon expérience humaine. »

Autant que spontanéité et naturel, il y a, chez elle, une évidente sincérité. Celle qui la conduit à évoquer, sans faux-fuyants, « cet appel du froid, ou du passé, qui vous rattrape un peu », avant de se risquer, dans un sourire qu’elle porte large et franc, à établir le bulletin que décernerait la fillette qu’elle était à 7 ans à la femme qu’elle est devenue aujourd’hui. « Je serais assez contente, parce qu’il y a des choses de goûts fondamentaux qui n’ont pas changé, et cela me rassure plutôt. L’esprit un peu rock, une certaine idéologie de la vie: on était assez politisés, bizarrement, de 7, 8 ans jusqu’à 14 ans, la vie du monde nous intéressait, de là où on venait et ce qui se passait. Mes idéologies sont encore assez semblables. En revanche, de me voir habillée comme cela, je me serais dit: « Mais t’es complètement malade, tu vas enlever ces talons, te démaquiller tout de suite, remettre ton vieux jean, et puis basta… » Et puis, il a des choses plus profondes et probablement plus décevantes: ces moments où on se dit que l’on a été un peu lâche, avec des compromis à la clé. » Quant à avoir nourri des rêves de cinéma, la réponse fuse: « Pas du tout. Je ne connaissais pas le cinéma. J’ai vécu de rien, d’un terrain vague. Enfin, de rien: ma famille, mes parents, mais c’était plutôt une vie de labeur, difficile, nous étions plongés dans une réalité qui prenait beaucoup de place. »

Succès précoce

Ambivalence, du reste, d’un rapport au cinéma qui, de son propre aveu, lui a apporté une part d’enfance qu’elle n’avait pas vraiment eue, tout en lui ôtant, dans le même mouvement beaucoup de cette insouciance. Le tout assorti de la difficulté à digérer un succès précoce. « C’est pas facile du tout », lâche-t-elle sans chercher à réprimer un rire cette fois. « Voire même épouvantable, mais il faut apparaître comme intouchée, comme s’il s’agissait d’un don de Dieu. D’une certaine façon, cela l’a été: ce succès m’a beaucoup donné dans la vie, et m’a ouvert énormément de portes, personnelles également. J’ai pu prendre conscience de choses que je pouvais faire, j’y ai puisé une certaine confiance et opéré une prise de pouvoir par rapport à mon existence, pour me trouver, peut-être, parmi ceux qui « leadent » (anglicisme compris) plutôt que parmi ceux qui suivent. Voilà ce que cela m’a apporté, mais, d’un autre côté, c’est assez violent d’être soudain dans le regard de l’autre. » Et de poindre la question qui finalement, plus que toute autre peut-être, la taraude: « Voilà un peu ce que j’aimerais retrouver un jour: si tout cela ne m’était pas arrivé, je serais quoi, qui? »

A défaut de réponse satisfaisante à cette interrogation, et au-delà d’un constat générique (« Ce que je vois chez d’autres acteurs à qui des choses sont arrivées très jeunes de façon très forte, c’est que ce sont des gens qui ont du mal à se définir eux-mêmes »), Sophie Marceau laisse apparaître des failles. Celles, par exemple, de La Disparue de Deauville, l’un de ses deux passages derrière la caméra, et un film, tout en dérangements successifs, où elle adoptait une personnalité mouvante. Celles, encore, affichées dans Ne te retourne pas, on y revient, voyage mental perturbé là aussi, pour un film à l’exécution aussi maladroite qu’aux intentions fascinantes. Celles, enfin, de cet Age de raison, où ses certitudes viennent se fracasser sur un retour d’enfance. « La seule chose qui m’intéresse chez les gens, ce sont leurs failles. Je serais bien fumiste de ne pas montrer les miennes alors que justement, c’est ça qui est intéressant. Je n’aime pas les gens infaillibles. Ceux qui pleurnichent non plus, mais la dureté me fait peur. »

Femme de tête, mais à visage définitivement humain, donc. Faudrait-il y voir une tentative d’explication de son exceptionnelle longévité, de cette popularité qui résiste aux soubresauts d’une carrière forcément inégale? « En vérité, je trouve que c’est assez naturel », lâche-t-elle dans un élan de spontanéité rieuse. « Vous allez penser que je suis complètement mégalo, mais non, cela se fait d’une façon naturelle. Et si cela doit s’arrêter un jour, cela s’arrêtera. Le jour où il n’y aura plus ce fluide qui passe, c’est qu’il y aura eu désistement, de leur part ou de la mienne. La place que j’ai, elle n’est pas en désaccord avec ce que je suis moi, profondément. Je ne parle pas d’être numéro 1 dans les sondages, cette considération ne commande pas mes choix de carrière ou mes choix de vie, je n’y pense pas au moment de faire quelque chose. C’est étonnant, mais je pense que c’est lié au fait que personne ne se sent obligé. Après, on peut l’expliquer par plein de choses: le fait qu’on m’ait connue enfant a forcément créé des liens qui rappellent aussi aux gens leur enfance, leurs souvenirs. Des liens affectifs se sont tissés, et ce qui est affectif reste. En bien comme en mal d’ailleurs… »

L’Age de raison, de Yann Samuell, avec Sophie Marceau, Jonathan Zaccaï, Michel Duchaussoy. Sortie le 4 août.

Jean-François Pluijgers

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