Samba, ou comment gérer l’après Intouchables les pieds sur terre

Olivier Nakache et Eric Toledano, ici au 62e festival du film de San Sebastian pour la promo de Samba. © BELGAIMAGE/Ander Gillenea
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le triomphe d’Intouchables n’a pas gonflé la tête au tandem Nakache-Toledano. La preuve par Samba, dès ce mercredi sur nos grands écrans.

Les chiffres d’Intouchables ont de quoi donner le vertige. Celui des 21 millions de tickets vendus dans les seules salles françaises en tête! Le succès, quand il dépasse la compréhension pour devenir phénomène de société, n’est pas forcément facile à gérer que l’échec. Les pièges qui guettent le créateur soudainement propulsé au sommet peuvent se révéler fatals. S’ils n’ont pas boudé leur plaisir à voir triompher Intouchables, ni les conséquences matérielles qui l’accompagnaient, Eric Toledano et Olivier Nakache n’en étaient pas moins conscients des dangers impliqués par la suite. A l’heure où s’apprête à sortir Samba, leur cinquième long métrage et le premier après Intouchables, les duettistes n’esquivent pas les -légitimes- questions. Ils les mettent même à profit pour réaffirmer leur credo en un cinéma conjuguant divertissement populaire et souci d’aborder de manière personnelle des sujets de société très contemporains.

« La vérité est dans l’imprévu »

« Cette aventure d’Intouchables, il a fallu l’encaisser, la digérer, et c’était bien d’être deux pour pouvoir en parler, remettre les choses à leur place, envisager la suite avec sérénité. Le travail à deux est une garantie contre les dérives de l’ego, dans un milieu du cinéma où on entend tout le temps « Moi je, moi je, moi je! ». Nous on est à deux depuis le début, on sait bien que l’union fait la force… et aussi la raison. Car on a partagé les échecs avant de partager les succès… » Olivier Nakache parle bien de cette amitié, doublée de complicité créative, qui porte son tandem avec Eric Toledano depuis le milieu des années 1990 et leur premier court métrage au titre lui-même dual de Le Jour et la nuit. Pour Nakache, un autre élément salvateur doit être souligné: le doute. « Des doutes, on en plein, ils sont cruciaux pour aller dénicher l’imprévu. Et c’est dans l’imprévu que se trouve la vérité, ces petits miracles qu’on n’a pas vu venir et qui nous font avancer. »

« Evidemment il était impossible de ne pas réfléchir à ce qui nous est arrivé avec Intouchables, explique Toledano, parce que ce film est devenu un phénomène qui forcément nous dépasse, qui nous a fait changer de catégorie. Mais il ne fallait pas non plus trop en tenir compte, sous peine de faire du marketing au lieu de continuer à faire du cinéma! Il fallait écarter la question de savoir ce que les gens attendaient de nous après Intouchables, pour nous poser plutôt celle de savoir ce que nous attendions de nous-mêmes… Donc forcément on a fait un film différent, on reste libre et on fait ce qu’on veut, au risque de décevoir ceux qui espéraient encore un film « feel good ». Tout n’est pas différent, mais tout n’est pas non plus pareil! C’est toujours un sujet dur, traité avec humour, mais Omar n’est plus celui danse, qui envoie des vannes, c’est le clown triste… »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Les records, le nombre d’entrées à viser, Nakache nous dit qu’il n’en fut pas question durant la production de Samba. « On n’est pas des sportifs, on n’a pas à battre de record, à faires des minimas comme certains réalisateurs qui se disent « En dessous de 5 millions d’entrées ça sera un échec ». Sans doute un James Cameron, quand il fait Titanic avec un budget de 100 millions de dollars, peut-il se fixer un objectif à atteindre. Mais avec l’économie qui est la nôtre, ce que coûtent nos films, nous n’avons pas cette pression. Intouchables aurait déjà été un succès avec un million d’entrées. Et si nous avons dépensé plus pour Samba, ce n’est pas au point d’entrer dans le cercle des films à 20 ou 30 millions d’euros. Nous ne fixons aucun chiffre, pour ne pas se mettre une pression qui serait de toute manière inutile. »

Terrain d’entente

« Notre complémentarité vient de nos différences plutôt que de ce qui nous rapproche », déclare Nakache. Et son complice d’embrayer: « -A l’évidence chacun d’entre nous aurait pu faire des films tout seul, avec sa vision personnelle, mais en nous unissant nous avons enclenché un processus où nos deux visions -au départ beaucoup plus différentes qu’on pourrait le croire- produisent en se confrontant un résultat plus intéressant que l’addition de nos deux points de vue. Un bon duo, c’est 1 + 1 égale un peu plus que 2… »

Rien de surprenant de voir les duettistes s’attacher résolument au thème de la différence, fonder la dramaturgie de leurs films sur le rapprochement de personnages absolument dissemblables et nouant des relations tout sauf attendues. « Le thème du double revient presque à chaque fois, commente Toledano, avec des caractères très différents mis à l’épreuve l’un par l’autre, avec aussi cette obsession qu’on a de rapprocher des gens qui ne sont pas du tout pareils. A chaque fois, c’est un peu comme refaire notre propre histoire. Car on n’a pas les mêmes goûts, ni sur les acteurs, ni sur les décors… Et pas non plus la même perspective sur la vie! Alors cette réalité de parvenir à quelque chose à partir des différences, c’est du vécu pour nous. Il faut trouver un terrain d’entente, il n’y a pas le choix! »

La France des paradoxes

Laurence Bloch, la nouvelle directrice de France Inter, disait récemment (1) « C’est bizarre la France. On adore Omar Sy et on vote Front National. » Ce paradoxe n’a pas échappé à ceux dont le film précédent a propulsé l’acteur d’origine mauritanienne (par sa mère) et sénégalaise (par son père) vers des sommets de popularité. « Des paradoxes, la France en est pleine, commente Toledano, c’est un pays riche de culture, d’histoire et de valeurs, et en même temps c’est un pays qui panique. Un pays d’accueil mais qui se prend la tête. Un pays où il y a beaucoup plus de métissage que par exemple en Angleterre ou en Allemagne, mais où la synthèse à faire est de plus en plus compliquée. On vit un moment difficile… Je n’ai pas d’explication au fait que les gens votent de plus en plus Front National tout en faisant d’Omar Sy la personnalité préférée des Français. Peut-être cela laisse-t-il espérer que ces gens qui votent FN parce qu’ils ont peur ne sont pas définitivement perdus… »

Dans Samba, leur nouveau film, les réalisateurs ont voulu aborder « cette situation de gens qui traversent la mer pour venir dans des pays occidentaux, qui pensent que c’est le paradis. » « La plupart d’entre eux veulent travailler, déclare Toledano, et le travail est au centre du film, il commence par une cuisine où bosse le personnage joué par Omar Sy, qui ensuite triera des ordures et lavera des vitres. La question de l’emploi est peut-être encore plus importante dans Samba que celle de l’immigration clandestine. Et la question de savoir si le travail rend heureux, si par-delà cette course à l’emploi une utopie est encore possible… »

Alors succès confirmé pour Samba? Ou alors échec? Eric Toledano sourit. « Un réalisateur seul peut se laisser aller à se trouver très bon quand son film cartonne, ou nul s’il se plante. Mais nous sommes deux. Un film qui marche, ce n’est pas le mien, ni le sien d’ailleurs. Même chose s’il ne marche pas. On se monte beaucoup moins la tête dans le succès, et on se la prendra moins si vient l’échec… »

(1) Dans un entretien à la Libre Belgique paru le 16 septembre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content