Rudy Léonet a (en partie) raison : David Lynch est (en partie) un escroc !

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Serge Coosemans ne juge pas fort satisfaisante son expérience client sur Lynchland-point-com. Autrement dit, la saison 03 de Twin Peaks commence à drôlement lui courir sur le haricot. Ce qui donnerait raison à Rudy Léonet. Culture hipster, théories de comptoir et carambolages, c’est le Crash Test S02E38.

Twin Peaks, saison 03, épisode 09. Je m’ennuie, je suis consterné. Je vais craquer. Sans doute encore un épisode et j’abandonne. Me voilà dès lors bien embêté, puisque partageant finalement avec Rudy Léonet un avis hérétique duquel je m’étais pourtant jadis moqué . Voilà que comme lui, je pense en effet que David Lynch n’est qu’un escroc. Depuis Lost Highway, du moins. Aux alentours de la vingtaine, en 1990, j’étais en revanche dingue de lui. De Lynch, pas de Léonet. Il me semblait alors avoir tout compris à notre part d’ombre et à nos angoisses les plus profondes, tout comme Charles Bukowski avait tout compris à la société, Henry Miller au sexe et les Doors au rock. C’est le genre de choses que l’on pense à 20 ans. Puis, on vieillit. On passe à autre chose. Les premiers Polanski et l’horreur psychologique italienne des seventies/eighties, espagnole des années 90/2000 et asiatique en général. Ce qui est vachement plus pétochant que Mullholand Drive. Souvent plus subtil, aussi. On découvre à l’actif de Miller et Bukowski des bouquins vraiment idiots. On tient pour sûr que Morrison resté vivant, les Doors auraient probablement viré disco, comme tout le monde à l’époque. Staying alive on the other side, wou hou hou. Ca recadre, ça calme. Et puis, réévaluer ses emballements post-adolescents n’est pas qu’enrichissant et plaisant, c’est aussi tout simplement nécessaire. Histoire de se rebooter le système. De ne pas rester un grand con toute sa vie.

La société évolue, aussi. En 1990, David Lynch passait pour quelqu’un d’immensément original, une voix à part. Est-ce vraiment toujours le cas en 2017 ? En 1990, les deux premières saisons de Twin Peaks détournaient les codes du soap-opera et de l’enquête policière pour les asperger de surnaturel et de surréalisme. Pas grand-monde n’avait encore fait ça à l’époque, à ce niveau de popularité du moins, d’où l’originalité certaine. La saison 03 de Twin Peaks est très différente. Elle n’a plus grand-chose de « soapy ». Ce qu’elle semble aujourd’hui surtout détourner, ce sont les codes de la série policière moderne. Un peu d’Experts Las Vegas, un peu de Breaking Bad, un peu de X-Files. Or, quoi de plus commun, à notre époque, qu’une série policière décalée ? Avec des brigands colorés qui débitent de la punchline ciselée et des flics hauts en couleur ? Avec des situations à la fois tragiques et hilarantes ? Avec des meurtres crapuleux et une violence à la Tarantino, à la Coen ? Ce que je veux dire par là, c’est que David Lynch me donne désormais l’impression de faire comme tout le monde (et je ne suis pas contre l’idée que c’est parce que tout le monde fait désormais comme lui). Il sample. Il n’est plus du tout en avance, juste sur la troisième bande d’autoroute tandis que ça bouchonne sur la première. Même avec 8 orteils dans sa bulle, il semble strictement dans l’air du temps. Y compris quand il balance sa bombe, cet épisode 08 certes osé dans le cadre d’une série plutôt grand-public mais pas non plus vraiment étonnant quand on connaît Eraserhead, Industrial Symphony Number One et son travail pictural. Et puis, surtout, la bédé Black Hole de Charles Burns, oeuvre cultissime que cet épisode 08 pompe largement. Qui elle-même devait pas mal au Lynch des années 80. A copy of a copy of a copy. On y revient toujours. Signe des temps.

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En fait, je vois désormais David Lynch comme le Saint-Père de Tous les Hipsters. Comme eux, il porte une coiffure compliquée, pratique une ironie morbide, est obsédé par le bon café, les groupes de pop sombre et l’usage de la cocaïne chez les adolescentes à belles poitrines. Comme eux, il dit beaucoup de conneries, en filme encore plus, et se montre toujours très indulgent envers l’acte de créer. Il a gardé ce côté boutonneux d’ado à fleur de peau -« si tu n’aimes pas, c’est que t’es plouc », « c’est ma vraie personnalité qui parle, peu importe que je sois compris ou non »-, cette vision du monde extrêmement naïve et cette immense auto-satisfaction. Peu importe que sa création soit inaboutie, pompeuse, gratuitement bizarroïde, simplement stupide ou même volée à d’autres. Comme tout hipster, comme tout adolescent mal dégrossi, fut-il âgé de 71 ans, l’idée semble davantage compter que le résultat, s’exprimer davantage lui importer que de faire perdre 18 heures de vie à son public. Pour qui apprécier sans poser trop de questions est de toutes façons une posture identitaire. J’ai lu quelque part, sous la plume d’un fan ayant oublié qu’il était aussi un pro de la critique, que l’on ne peut que ressortir « abasourdi » de Twin Peaks, que cette troisième saison est déjà assurée d’être une oeuvre « majeure », « essentielle », « au-delà de l’histoire de la télé ». Là aussi, c’est du délire adolescent, de l’emballement morveux, du pur révisionnisme hipster ainsi qu’un fuck-off branleur à tous ceux qui ne partageraient pas cet enthousiasme sans pour autant n’être que des « haters » (encore une insulte de vieil ado évacuant toute nuance et toute remise en question).

Cette saison 03 de Twin Peaks, c’est du web u0026#xE0; la tu0026#xE9;loche. Ce n’est plus de la tu0026#xE9;lu0026#xE9;vision, ce n’est plus une histoire. C’est une expu0026#xE9;rience client immersive de la marque David Lynch. Autrement dit, du personal branling David Lynch. N’est-ce pas, Rudy ?

Ce qui m’emmerde, c’est je pense plutôt que Twin Peaks n’a plus rien d’une série télé. C’est une tentative de faire autre chose du médium et je ne pense pas que ce soit pour le coup réussi. Une série télé raconte, c’est le scénario qui compte, les personnages. Ce n’est pas le cas de Twin Peaks. On se fout de ce que déblatère cette troisième saison. Chacun en tire ce qu’il veut et on en connaît déjà la fin : final ambigu qui ne résout rien ou happy-end surjoué jusqu’au malaise. Twin Peaks n’est plus Twin Peaks. C’est Lynchland-point-com. Un concept 100% hipster. Des groupes Pitchfork y jouent des chansons entières à chaque épisode. Des starlettes et autres it-girls contemporaines y apparaissent le temps de vignettes pas beaucoup plus longues que sur Snapchat. On y est bombardé d’infos comme sur Twitter. On zappe d’un personnage à l’autre. Quelques acteurs appréciés de films cultes tout aussi appréciés de ces 20 dernières années y font un kikou hors-promo. On y délire sur la drogue, le sexe, la bombe atomique, l’amour, le mal, la pègre, la vie en banlieue, la vie rurale, le café, la vente en ligne, le plaisir de fumer, l’au-delà, les délits de fuite, les conspirations, les nains, le cinéma d’horreur des années 50, la précarisation en zone non-urbaine, les forums politiques, les arnaques à l’assurance et David Bowie devrait en toute logique à un moment ou à un autre y revenir d’entre les morts. Bref, ce n’est plus un scénario de série télévisée, c’est un sommaire de site web. Le genre Vice (*). Et je ne pense pas que ce soit fortuit.

En 1990, David Lynch s’était attaqué à la télévision, médium alors on ne peut plus ringard, en explosant les codes du soap-opera et de l’intrigue policière à la Colombo. C’est ce que font les hipsters. Ils se réapproprient ce qu’ils jugent ringard. Or, quoi de plus ringard, pour un hipster de 2016-2017, que les séries procédurières, le surnaturel et, surtout, le storytelling télévisuel, tellement en retard par rapport à la façon dont se vivent et se partagent les idées et les impressions sur le web ? Voilà ce que je crois, Diane. Cette saison 03 de Twin Peaks, c’est du web à la téloche. Ce n’est plus de la télévision, ce n’est plus une histoire. C’est une expérience client immersive de la marque David Lynch. Autrement dit, du personal branling David Lynch. N’est-ce pas, Rudy ?

(*) Petite blague tombée du camion lors du travail d’édition de cette chronique : Le meilleur « titre à la Vice » pour résumer Twin Peaks : « J’ai la preuve que la bombe atomique a accouché d’un biker en veste de jeans sans manche qui possède l’âme des pères abusifs de blondes polyamoureuses »

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